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Citations de Mariam Petrosyan (191)


" Un sourire, mon petit, avait expliqué Elan, c'est ce qu'il y a de meilleur chez l'homme. Tu n'es pas vraiment un homme tant que tu ne sais pas sourire.
- Montre moi" lui avait demandé l'aveugle….
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Ils arrivèrent devant la Maison par une chaude journée d’août. Écrasée par le soleil, la rue était déserte. Une femme et un petit garçon. Ni les arbres malingres qui bordaient la chaussée ni les immeubles ne les protégeaient de leurs ombres. La chaleur montait du sol en une multitude de langues incandescentes ondulant sur le bleu vif du ciel. L’asphalte se déformait légèrement sous leurs pieds, si bien que les talons de la femme s’y imprimaient en laissant derrière eux une ligne de pointillés, comme les traces d’un étrange animal.
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Seul le vent, furieux, continua de hurler et de tambouriner contre les murs ; il se précipita même vers la lucarne, en fit violemment claquer le cadre et provoqua une pluie de verre. Puis il s’engouffra à l’intérieur, tapissant au passage le plancher de débris et de neige. Sans prêter attention aux éclats, l’Aveugle s’approcha pieds nus du trou en forme d’étoile que le vent venait de percer dans la fenêtre, et passa la main à travers les couteaux de verre pour récupérer sur le toit un peu de neige, veloutée et douce sous une croûte ferme. Il la but à même sa paume.
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Pour s’endormir, il fallait un entraînement que je n’avais pas encore. Ici, on enjambait les dormeurs, on leur rampait dessus, on les utilisait comme supports pour poser des objets en tout genre – assiettes, cendriers, journaux, etc. Le magnétophone, comme trois des douze lampes murales, restait toujours allumé, et à n’importe quelle heure de la nuit, il y avait toujours quelqu’un qui fumait, lisait, buvait du café ou du thé, prenait une douche ou cherchait un slip propre, écoutait de la musique ou, tout simplement, se baladait. Quand on était habitué au couvre-feu des Faisans, instauré à vingt et une heures pétantes, ce nouveau régime n’était pas facile à supporter. Cependant, je faisais de mon mieux pour m’y adapter. Car vivre dans ce groupe méritait bien quelques efforts ; ici, chacun faisait ce qu’il voulait, quand il le voulait, et y consacrait tout le temps qu’il jugeait nécessaire. Il n’y avait même pas d’éducateur.
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Élan les conduisit à la campagne à bord de Scarabée. Scarabée, c’était une voiture qu’on aurait dite fabriquée à partir des carcasses de dix autres, et qui n’aurait pas détonné dans une casse. Scarabée laissait entrer la pluie et le vent, peinait à accomplir de longs trajets et avait tendance à perdre des pièces dans les virages trop serrés. Scarabée aimait choisir elle- même son itinéraire ; ses passagers s’y soumettaient. Si l’on cherchait à s’opposer à sa volonté, le moteur calait, et Scarabée s’immobilisait dans les endroits les moins opportuns, refusant de redémarrer jusqu’à ce qu’on lui rende sa liberté. Scarabée pouvait bien s’arrêter où bon lui semblait, cela ne les dérangeait pas. Ils se réchauffaient au soleil, partaient explorer les étangs, déjeunaient léger et ne regagnaient jamais la Maison les mains vides.
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La Maison se dresse aux confins de la ville, en bordure d’un quartier appelé les « Peignes » où d’interminables immeubles sont alignés en rangs crénelés, telles des dents plus ou moins régulières. Séparées à la base par des cours de béton servant d’aires de jeux, les tours sont percées d’innombrables yeux. Là où elles n’ont pas encore poussé, s’étendent des ruines masquées par des palissades. Les enfants, d’ailleurs, s’intéressent bien plus aux décombres qui s’y cachent, refuge des rats et des chiens errants, qu’aux espaces aménagés pour eux.
(incipit)
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Allongé dans l'herbe humide, les pieds croisés sur le dossier du banc, je contemplais le ciel en train de sécher ses larmes. La boue qui maculait mes baskets coagulait peu à peu et s'effritait sur les planches fendues. Ces premiers rayons estivaux étaient impitoyables. Dans une demi-heure, il ne resterait plus aucune trace de l'averse et bientôt, il faudrait des lunettes de soleil pour pouvoir se reposer ici. Pour le moment, je pouvais encore regarder le ciel bleu vif à travers l'entrelacs des branches d'un chêne tortueux, dont le tronc était comme tressé de cordages pétrifiés. Ce chêne était le plus bel arbre de la cour. Le plus vieux, aussi. Je le caressai des yeux, depuis l'extrémité de ses rameaux les plus fins jusqu'à ses racines, dont certaines étaient aussi épaisses que mes cuisses. Sur l'écorce craquelée, je remarquai de fines éraflures pâlies – un message : Souviens-toi… quelques mots encore, puis… ne perds pas… Je relevai la tête pour mieux déchiffrer ; j'avais l'habitude des énigmes.
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Eh oui intervins-je, c’est comme ça que ça se passe. Dans un monde civilisé, les petits garçons tirent les cheveux des filles qui leur plaisent et cachent des souris crevées dans leur sac. Sans parler des croche-pieds. C'est comme ça qu'ils expriment leur amour. Ce sont des procédés hérités de leurs ancêtres primitifs. Eh oui, parce qu'à l'époque, tout était simple, on comparait, on appréciait, on déclarait sa flamme d'un coup d'os de mammouth en travers de la tronche et hop, emballé c'est pesé ! Leurs descendants, eux, préféraient regarder sous les longues jupes de leurs contemporaines, mais celles-ci n'étaient pas bêtes non plus et portaient des culottes de dentelles. Du coup, il suffisait de faire tombe sa promise par terre et le tour était joué ! En plus, quoi de plus touchant qu'une jeune fille éplorée, les vêtements couverts de boue ? C'est le genre de scène qui fait forcément bondir le cœur de l'amoureux transi. Elles sont si belles quand elles pleurent !
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Ce matin, une sacrée surprise nous attendait : un Volant était de retour d’une expédition à l’Extérieur et rapportait tous les trucs qu’on lui avait commandés ! C’était un événement des plus rares. Rate, grimée en vampire - lèvres noires, fond de teint cadavérique - , passa avant le premier cours. Elle était munie d’un sac de voyage en bandoulière qu’elle posa sur le bureau du prof. Elle en fit hurler la fermeture éclair et sortit méthodiquement des paquets qu'elle déposa l'un après l'autre sur la table. Larry se rua sur celui qui avait l'air de contenir un disque, et s'enfuit en courant. De mon côté, je m'emparai d'une lourde boîte nouée d'un ruban rose. À partir de cet instant, le monde cessa d'exister jusqu'à ce que je règle son compte à l'emballage et que j'aie jeté un coup d'œil à l'intérieur. Quelle divine senteur ! Dans la boîte, parfaitement alignés, luisaient des chocolats. Chacune des friandises reposait confortablement sur un délicat petit nid gaufré, recouverte d'un délicat papier de soie. Je le soulevai, effleurai l'une de ces merveille sucrées et me léchai le doigt. Puis je les comptai. Quatre par rangée, sur quatre rangées et deux niveaux… Trente-deux en tout. Je refermai la boîte et la dissimulai dans mon pupitre. Avec le ruban. Enfin, je fus en mesure de regarder ce que les autres avaient reçu.
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Si les histoires m'ennuient, les instants m'éblouissent. Je préfère sans hésiter la nuit au matin, la lune au soleil, et mille fois mieux ce qui se passe ici et maintenant à ce qui aura lieu, ou a déjà eu lieu, ailleurs. J'aime aussi les oiseaux, les champignons, le blues, les plumes de paon, les chats noirs, les gens aux yeux bleus, l'héraldique, l'astrologie, les polars sanglants et les épopées antiques où des têtes coupées tombent en riant dans le fracas des armes. J'aime manger et boire tout mon saoul, me prélasser dans un bain brûlant et me rouler ensuite dans la neige. J'aime porter tous les habits que je possède en même temps et garder sur moi tout ce dont je pourrais avoir besoin. La vitesse m'enivre et sentir mon ventre se tordre quand j'ai pris tellement d'élan que je ne peux plus m'arrêter est une expérience incomparable. J'aime faire peur et être effrayé, amuser et déconcerter. J'aime me cacher derrière les phrases mystérieuses que je trace un peu partout, et dessiner de façon si abstraite qu'on ne puisse deviner mon sujet. J'aime gribouiller sur les murs, perché en haut d'un escabeau ou assis par terre, avec une bombe ou à l'acrylique. J'aime utiliser une brosse de peintre, une éponge ou bien mon doigt. J'aime tracer d'abord le contour, puis remplir entièrement mon œuvre, sans laisser le moindre blanc. J'aime que les lettres soient aussi grandes que moi, mais les tout petits caractères m'enchantent aussi. J'aime guider les lecteurs vers d'autres endroits – également marqués de mes écrits –, avec des flèches ici où là, j'aime aussi brouiller les cartes et multiplier les fausses pistes. J'aime prédire l'avenir dans les runes, les os, les fèves, les lentilles et d'après le Yi Jing. Dans les films et les livres, j'aime les pays chauds, alors que dans la vie, c'est la pluie et le vent que je préfère. D'ailleurs, j'aime la pluie plus que tout. Au printemps, en été, ou en automne. Peu m'importent les circonstances. J'aime relire cent fois ce que j'ai déjà lu...
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Un sourire, c'était une lumière. Pas chez tout le monde, mais chez la plupart des gens. A présent, il savait ce que ressentait Alice quand le sourire du chat de Cheshire planait au-dessus d'elle, sournois et dentu. Ainsi souriait la Forêt, avec dédain, d'une façon ineffable et moqueuse.
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Il y avait dans la Maison deux ou trois endroits où Sauterelle aimait à se retrouver. Comme la cour, par exemple, à la nuit tombée. C'était des coins où en lui, « ça pensait bien ». C'était la raison d'être de ces endroits, ils existaient pour qu'on puisse s'y tapir, se soustraire au regard des autres et penser. D'une façon étrange, ces lieux facilitaient ce qu'il appelait « la pensation ».
La cour permettait de s'éloigner de la Maison, et donc de la voir à distance, avec du recul. Parfois, la bâtisse lui faisait l'effet d'une ruche ; parfois, elle se transformait en jouet – une boîte en carton peint au toit amovible. Elle contenait tout un tas de personnes, des meubles, les objets les plus divers, et on pouvait les regarder bouger et évoluer en soulevant le toit. C'était drôlement chouette.
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La maison exige une forme d'attachement mêlée d'inquiétude. Du mystère. Du respect et de la vénération. Elle accueille ou elle rejette, elle gratifie ou dépouille, inspire aussi bien des contes que des cauchemars, tue, fait vieillir, donne des ailes... C'est une divinité puissante et capricieuse, et s'il y a quelque chose qu'elle n'aime pas, c'est qu'on chercher à la simplifier avec des mots. Ce genre de comportement se paie toujours.
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Il est bien difficile de renoncer à un rêve. Il est plus facile de compliquer le chemin qui y mène plutôt que de se résoudre à la croire irréalisable.
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L'Aveugle avançait, enfoncé jusqu'à la ceinture dans l'herbe rêche. Ses chaussures faisaient un bruit de ventouse ; quelque part en chemin, elles avaient dû prendre l'eau. Sa peau collait au plastique humide de ses semelles, et il se demanda s'il ne valait pas mieux continuer pieds nus. Mais il se ravisa. L'herbe était coupante, pleine d'épines et peuplée d'ignobles limaces qui se fixaient entre les orteils pour s'y installer en bavant. Ces bêtes répugnantes évoluaient entre des sortes de pelotes de cheveux emmêlés et quelque chose qui ressemblait à de la ouate humide. Toute cette faune et cette flore rampaient entre les feuilles de datura, s'enivraient de leur odeur, les mangeaient, naissaient et mouraient, avant de se métamorphoser en boue. Et tout ça, à bien y penser, c'était la végétation et rien de plus.
L'Aveugle ôta délicatement la coquille d'un escargot perché sur une haute tige qui lui avait fouetté la main. Les escargots se collaient à l'extrémité des brins de graminées et s'entrechoquaient comme des noix creuses. Il la glissa dans sa poche, sachant pourtant que celle-ci serait vide quand il rentrerait, comme à chaque fois. Pourtant, comme à chaque fois, il ne pouvait s'empêcher d'essayer de ramener quelque chose.
Il releva la tête et la lune éclaira son visage d'une lueur blafarde. La Forêt n'était pas loin. L'Aveugle accéléra, même s'il savait pertinemment qu'il valait mieux ne pas se presser : la Forêt n'aimait pas les impatients, et elle pouvait très bien reculer. Plus d'une fois, il lui était arrivé de la chercher sans la trouver, de la sentir toute proche sans pouvoir y pénétrer. La Forêt était capricieuse, craintive ; elle était aussi capable d'étirer et de multiplier les chemins qui menaient jusqu'à elle. On pouvait la rejoindre à travers le marais, ou par le champ de datura. Un jour, il l'avait retrouvée à partir d'un terrain vague dont le sol était jonché d'ordures, recouvert de montagnes de pneus, de monceaux de fer et de vaisselle brisée. La terre disparaissait sous les mégots et les tessons de bouteille – un objet en fer lui avait d'ailleurs entaillé la paume et ce jour-là, il avait aussi perdu son bracelet fétiche. C'était la Forêt qui, cette fois-ci, l'avait attrapé. Ses branches, telles des pattes velues, l'avaient agrippé pour l'attirer vers ses profondeurs, dans le fourré étouffant de ses entrailles humides.
La Forêt était magnifique. Mystérieuse et hirsute, elle abritait de profondes tanières et leurs étranges habitants, elle ignorait le soleil et était imperméable au vent. On y trouvait des cynocéphales et des oiseaux siffleurs, de gigantesques champignons aux chapeaux noirs et des fleurs vampires. Quelque part – où exactement, l'Aveugle était incapable de s'en souvenir avec précision – il y avait un lac. Une rivière s'y jetait, peut-être même plusieurs. L'un des multiples sentiers qui conduisaient à la Forêt démarrait dans le couloir, depuis les portes des chambres derrière lesquelles on soupirait, on ronflait et chuchotait, là où le parquet abîmé gémissait, là où les rats irrités d'être ainsi dérangés s'enfuyaient à vos pieds en couinant.
À présent, l'Aveugle était prêt à y entrer.
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C'est le jour vert du criquet sur la Terre
Silhouettes grises des monts à l'horizon
Rentrant à la maison, deux gibecières:
Deux sacs tout remplis de stridulations.
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Un sourire, c'était une lumière.
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Le turquoise du tissu faisait ressortir le vert de ses yeux. Lui qui d'habitude se tenait si droit était obligé de se voûter afin de poser sur moi ses prunelles couleur de rivière, comme s'il cherchait à s'emparer de mon âme pour la mettre à nu.
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Si les histoires m'ennuient, les instants m'éblouissent. Je préfère sans hésiter la nuit au matin, la lune au soleil, et mille fois mieux ce qui se passe ici et maintenant à ce qui aura lieu, ou a déjà eu lieu, ailleurs.
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Les nuits d'été envahissaient la pièce par la porte du balcon. Il fallait alors laisser la lumière éteinte pour ne pas attirer les moustiques. Une fois, le petit garçon vit un chiffon voleter de-ci de-là sur le velours du ciel nocturne. C'était une chauve-souris, fantôme de rat en guenilles. À partir de cette nuit-là, il se coucha toujours de façon à pouvoir voir le ciel.
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