Nous prenons une grande respiration avant de franchir le couloir, c'est celui des interdits. Interdit de bouger, interdit de parler, de toucher. Nous devons rester en apnée.
Dans l’avion de retour, je flotte un peu. La coupure a été totale et j’ai du mal à remettre mes idées dans le sens de la marche. Travail, amour, parents… Ces vacances ont été exactement ce que j’aime : liberté et voyages. Ce n’est pas mon premier été ailleurs mais cette fois-ci j’ai laissé sur le quai un garçon que j’ai hâte de retrouver. Comment a-t-il passé ces trois semaines ? Nous nous fréquentons depuis les dernières années de lycée. Il me fait rire et surtout il a été le premier. Nous nous aimons comme des adolescents d’aujourd’hui, heureux d’être ensemble, de sortir, de danser, mais sans aucune projection sur demain. Quand je lui ai dit que je partais en Égypte sans lui, il n’a rien dit mais j’ai senti son désappointement. Je l’ai embrassé et je suis partie.
La tête appuyée sur le hublot j’essaie de trouver le sommeil. Son regard triste s’invite dans mes pensées et me pince le cœur plus que je ne le voudrais. J’allume la petite veilleuse au-dessus de mon siège. L’avion ronronne. La cabine sent le sandwich et le plateau-repas. Sur le journal de mon voisin, j’apprends la mort du « King » : Elvis Presley. Je ne peux pas croire que la photo de cet énorme joufflu en costume blanc soit celle de l’idole de nos premières boums.
Cette image me ramène au souvenir d’une chemise bleue, soyeuse et inattendue. Nous nous étions retrouvés avec une bande de copains pour un réveillon de la Saint-Sylvestre avec cotillons et orchestre. Le restaurant n’était qu’un « boui-boui » et l’orchestre un tourne-disque où s’empilaient des quarante-cinq tours d’Elvis Presley sur un axe qui ne tournait pas rond. Mais il y avait sa chemise bleue…
Une porte s’ouvre. Du sas apparait une silhouette. Un fantôme revêtu de papier bleu, uniforme obligé des visiteurs autorisés. Les pas hésitent, se retiennent. Mes yeux cherchent, espèrent une visite. Ma mère ? Christian ? L’heure est trop matinale. Soudain, juste entre la coiffe et le masque, un regard ! Mon être tout entier s’arc-boute. C’est elle ! Mes yeux s’accrochent, s’affolent, ont peur de se fermer, peur qu’elle ne disparaisse. Elle avance, glisse vers moi, lentement, si lentement. Sa main se pose sur la mienne. Je voudrais la saisir, la sentir, la porter à ma bouche. Mais mon corps est une camisole et mes envies restent immobiles. Alors elle se penche, me parle, coule ses mots en moi « Je suis là ».
La douche est froide, glacée ! Je suis assommée, abrutie dans du coton où tout me parvient irréel. Quatre août ? Où étions-nous le quatre août ? Le téléphone sonne sans arrêt. Personne ne répond. Il sonne encore. Je regarde sans comprendre. « Ils étaient ensemble quand c’est arrivé » balbutie ma sœur.