Citations de Jean-François Mathé (73)
Les mots, souvent, sont des yeux fermés
qui regardent la nuit en eux.
Nuit où en secret leur vient
le ciel clair qu'ils ont à offrir
quand ils seront des yeux ouverts
par ceux qui les lisent.
(" Vu, vécu, approuvé")
Petit poème au bout du doigt,
Je te couperai comme un ongle.
Il y a longtemps que je jongle
Avec les mots choisis pour toi
Maintenant c’est prêt, on y va.
Je vais trancher, tu vas tomber
Bien gentiment sur le papier,
Et aïe ! En souvenir de toi
Je porte un pansement au doigt.
(Poèmes poids plume)
éloignez les larmes
que l’œil sec comme un clou
plante notre nouveau visage
au-delà de toute douleur
très haut sur le mur
où sont accrochées
les autres visages
devenus portraits
Pour que nous frôle la beauté de vivre
Il suffit d'être attentif
à ce qui ne déborde pas du jardin
petits bruits odeurs d'herbe
merle qui joue
avec l'oeil du chat
comme avec le feu
venu de loin le vent
replie l'ailleurs sur l'ici
dans une même transparence
qui dure sans trembler
comme l'eau dans le verre
à ceux qui passent
un salut silencieux
et merci de ne rien emporter
(" Le temps par moments")
Même si l'eau tombée du toit
courbe toujours la même branche
et qu'en nous quelque chose penche
un peu plus bas à chaque fois
nous avançons sans rien défaire
de la jeunesse que nous eûmes
mêmes désirs malgré la brume
qui nous dérobe des lumières
même mépris du poids du temps
sur l'horizon plat se dessine
l'humble révolte des collines
qui soulève toujours le vent
gouttes d'eau qui tombent du toit
branche qui plie et se relève
on en revient toujours au rêve
qui met le ciel au bout des doigts
et dans le bleu la main s'en va
écrire un poème au-delà
Du temps où la joie renversait
au beau milieu des blés
nos coeurs et corps
toujours éclatés,
la quête de nos saveurs
n'en finissait pas.
Nous allions jusqu'au fond de nos secrets
doux comme des gants
que nous retournions en aveux,
et nous aimions
jusqu'à la fatigue d'aimer,
et tellement au-delà
que je te revois lever la tête
pour boire encore un peu plus ta soif
à même le ciel.
Petit peu de vent
Ces enfants, comme ils ont vite passé,
Ce qui faisait naufrage
À l’enfant las de son enfance
L’ombre du chat passait
L’ombre du soir est encore trop loin
Ne regarder au ciel de la nuit
J’avançais, et le jour avant moi
Quand il m’arrive d’oublier...
Elle, au même fil, avait étendu
premier poème
Je serre,
je resserre encore
et encore,
comme si je voulais
que ma vie
soit un fruit
tout entier entré
dans son noyau.
La vie comme elle va
et comme elle ne revient pas
sur ce que nous avons
le plus aimé d'elle.
La vie comme elle irait
de la terre au plein ciel!
Hélas, c'est tous les jours qu'on voit
Icare balayer
les cendres de ses ailes
et continuer à pied sa vie d'en bas .
La vie comme elle ira
d'un coup dans une impasse
où elle s'arrêtera
sans que jamais plus ne la voient
les autres vies qui passent.
(" Retenu par ce qui s'en va")
il y a des rues qui n'existent
que de nuit dans la ville
ce sont elles qui flanchent
en brusques pentes
comme des trous d'air
où le coeur sursaute et semble
abandonner le corps
au seul poids de sa mort
aux fenêtres on ferme
les visages avant les volets
mais on n'éteint jamais
le sang ou la lampe
qui les transperce
(p.39)
Quand ton rêve est plus grand que ton sommeil,
c'est en lui que tu avances
pour aller allumer,
au-delà des gouffres de nuit
les lampes les plus lointaines.
Tu connais des ponts
où d'abord passer l'âme
puis le corps comme il peut.
Tu t'arrêtes dans ton aube inventée
et quand les autrès s'éveillent,
tu dors enfin sans rêve ,
les yeux refermés
comme se referment les livres
dont toutes les pages se sont envolées.
("Inédit ")
Hospice
si je veux te voir de plus près
par nulle porte je traverse le
blanc de ce mur d’hôpital
où les saisons n’accrochent ni
mouvement ni ombre
blanc jusque dans les fenêtres
je te reconnais à peine
depuis que tes cheveux ta bouche
tes yeux jouent au ralenti
leur rôle dans ton visage
ta voix
hésite retombe et
te porte en silence
comme en terre
on te portera bientôt
prière de
respecter l’horaire des visites
quand je reviens j’ai
à la place de la tête un caillou
que je voudrais jeter
dans l’eau
matins où l'on vieillit
plus lourdement
du double poids de soi
et de son image
comme si le miroir
avait versé dans le visage
l'eau qui portait son reflet
qui saurait après cela
marcher sans appuyer ses pas
et ne laisser de son passage
qu'un bruit de pluie
dans les branches
(p.30)
Des mots, je n'ai peut-être aimé
que le souffle qui vient aux lèvres
juste avant de les prononcer
et juste avant d'y renoncer,
pour que le poème, muet, rêve
d'y rester rêvé.
(à Laurent Albarracin)
(p.35)
On avait versé du café dans les tasses
et dans chacune maintenant
tremblait un îlot de nuit
que tu regardais
comme quand tu attends les étoiles
dans tes ciels nocturnes.
Les autres riaient haut
forts de la force de midi
et de l’immortalité qu’ils croyaient y puiser.
J’AURAIS VOULU DIRE / ET JE N’AI PAS DIT…
J’aurais voulu dire
et je n’ai pas dit.
Il y a du sable dans le temps
qui retarde mes mots
comme celui des flancs de dune
retarde les pas.
Cette nuit d’hiver,
c’est encore du silence
que tu auras à traverser
pour me retrouver.
Et je ne sais pas si le ciel,
tombé d’entre les étoiles sur la maison,
m’a laissé un peu de leur lumière
pour te guider.
qui saurait arrêter ceux qui vont
d’ombre en ombre au-dedans d’eux-mêmes
regards pour rien vers nous
comme des poches vides retournées
et le silence de leurs pas
comme s’ils disposaient pour eux seuls
d’un trottoir de neige
leurs visages aux vitres
appuyés retirés
transparence du verre et de leur nom
là où le vent n’a pas trouvé d’arbre
c’est l’un d’eux qui tremble
d’une émotion de feuillage
Silence, donc…
Silence, donc.
Les mots, souvent, sont des yeux fermés
qui regardent la nuit en eux.
Nuit où en secret leur vient
le ciel clair qu'ils ont à offrir
quand ils seront des yeux ouverts
par ceux qui les lisent.
drapeau pour vent d'ouest
tout un pan de ciel claque
au-dessus du coteau
j'ai l'oeil au corbeau
qui appelle mes arbres
je le vise mais
je tuerai le temps
avant de l'atteindre
je veux qu'il tombe
comme les mauvais souvenirs
dans la neige d'avant ma mémoire
(p.60)
Dans la maison éteinte
seule la clarté de la lune,
à travers la fenêtre
nous enlève le plus lourd de nos vêtements d’ombre.
Restent les autres,
serrés autour du froid du dedans,
autour de la fatigue qui plie le corps aux moindres chaises.
Et sur la moindre chaise nous nous asseyons
pour écrire aux absents des lettres
dont les longues phrases vont de la page à la neige.