C’est que le monde a profondément changé, mais les interprètes et les traducteurs ont encore du mal à suivre la marche forcée de la technologisation. La spécialisation est devenue reine (90 % des traductions) et la technologie a, en effet, tout chamboulé. Il n'y a plus que les passionnés du verbe pour traduire de la littérature à longueur de journée. Les champs d’intervention du traducteur ont considérablement évolué depuis les années 1990. Tout d’abord, les médias ont envahi l’espace culturel, à l’échelle nationale et internationale, transformant le traducteur en « médiateur » au sens propre. Ensuite, l’Internet a créé une révolution des mœurs et des usages langagiers qui a poussé le traducteur à chasser sur les terres des communicateurs, avant de se spécialiser dans la localisation et l’adaptation des sites web. Enfin, le flux permanent et incommensurable d’informations dans toutes les langues du monde a rendu indispensable la tâche de veille multilingue : le traducteur devient peu à peu l’œil et la main invisible de Big Brother. Plus que jamais, il doit contrôler sa « pulsion traductrice » et s’en tenir à une éthique positive (Berman).
Ainsi, l'essentiel des problèmes posés par les communautés musulmanes d'Occident n'est pas tant de nature religieuse ou politique, mais essentiellement de nature culturelle et identitaire.
L'affrontement concerne des problématiques idéologiques et des conflits importés, qui se trouvent instrumentalisés par une minorité d'individus radicalisés. C'est cette minorité radicalisée, mise en scène médiatiquement, qui est la principale source de tension et de menace pour la sécurité et la cohésion sociale dans les démocraties occidentales.
Enfin, au niveau gouvernemental, la volonté d'organiser "l'islam de France" n'est que le dernier avatar politique de ce confessionnalisme sémantique. Elle signe le recul de l'individu citoyen, quelle que soit sa confession, et son rattachement fantasmé a une communauté religieuse dont la représentativité demeure par ailleurs très discutable.
Par exemple, les événements en Irak ne seront pas reçu comme le déroulement sordide d'une guerre civile qui fait rage depuis plus d'une décennie, mais ils seront interprétés comme un "choc des civilisations" entre l'Occident (chrétien) et l'Orient (musulman). De même, la situation chaotique au Yémen ne sera pas imputée à des acteurs locaux ayant un ancrage tribal fort, mais exclusivement à l'ingérence étrangère d'acteurs confessionnels tels que l'Iran (chiite) ou l'Arabie Saoudite (sunnite) [...].
Derrière cette vision étriquée de la politique internationale se profile un confessionnalisme idéologique faisant la promotion d'idées religieuses généralement éloignées de l'esprit de paix et de fraternité. Même si ce types d'idées est devenue monnaie courante depuis 2001, beaucoup font remonter ce confessionnalisme idéologique à la "Révolution islamique iranienne" (1979).
Au passage, il est à noter que cet usage est commun aux confessionnalistes des deux bords: en "Orient" comme en "Occident", les citoyens irakiens et syriens sont désignés prioritairement en référence à leur confession. Toute référence nationale ou territoriale est reléguée au second plan au profit de l'identité religieuse des individus désignés.
Dans le cas des "chrétiens d'Orient", les conséquences de ce confessionnalisme sémantique sont dramatiques: en insistant sur leur identité religieuse dans les discours médiatiques et politiques, les locuteurs ne font que conforter l'idée qu'ils ne sont pas "syriens" ni "irakiens" mais qu'ils sont avant tout des "chrétiens" appartenant au camp occidental.
Pour gagner aujourd'hui une telle guerre, ce n'est pas tant des armes et des soldats qu'il faut mettre sur le terrain, mais des idées et des idéaux qu'il faut semer dans les cœurs et les esprits
Ces précisions contextuelles permettent de comprendre que l'établissement du "Coran d'Othman" comme vulgate unique et officielle avait, à l'époque, des enjeux plus politiques que religieux.
C'est que l'essentiel du travail de compilation du texte coranique est postérieur à la mort de Mahomet (632).