
Pour ma part j’avais bien tenté de vivre et pas qu’un peu. Je m’étais d’abord dit que s’il fallait mourir et bien la mort prendrait son dû. On se le dit tous, ça, qu’elle prendra son dû en temps voulu. Derrière cette idée perverse se cache l’esbroufe du destin, le bluff du karma — le mensonge des avenirs. Je me suis dit que, quitte à vivre, il fallait le faire comme on parade sur une moto, les cheveux au vent et le torse nu sous les rayons. Les routes sont belles. On se sent vivre. Beaucoup, même. On accélère. S’il faut l’avoir cette malchance — ce maudit nid-de-poule — c’est que le destin y avait encore fourré son horoscope. Alors oui on se brûle. Les fougères s’agitent à notre passage. Notre corps se transforme en force, en souffle — en bourrasque. Là. Maintenant. Nous sommes flammes. Notre ombre peine à nous suivre tant nous sommes fulgurants. Voyez comme la vitesse me porte. Je ne suis rien mais je suis tout. Je suis poussière mais je suis bloc. Et alors quoi ? Et alors j’ai vécu et, même si je meurs demain, j’aurais bu dans la vie sans lui rendre un seul de ses jours.
C’est ainsi que voulez-vous : le frisson de nos squelettes respectifs s’est entendu, propageant leurs messages dans nos corps harnachés, et la volupté du désir s’empara de ce qui lui est dû pour, enfin, nous soustraire à la réalité. La chaleur de ses muqueuses, je ne sais comment dire, était ce théâtre où se joue les pièces des plus fins fantasmes. La sueur coulait en nous, aussi bien que sur nos rives, nos peaux, nos salives, et nous faisions l’amour, l’Amour, non pas comme si c’était la première fois, mais comme si cette fois n’avait jamais été destinée à être — hors-série orgasmique et ténèbres du plaisir.
Il y a des hommes qui se marient et d'autres qui construisent des courants d'air. Il y en a qui tombent dans le piège de vivre, de tout leur poids, de toute leur force, et d'autres qui flottent, on ne sait comment, dans ces tempêtes de calendrier, ces sirocos d'humanité.