Une librairie
Je m'en rappelle une à Gênes, rue du XX septembre.
Son apparence était habituelle, étagères reluisantes aux couvertures colorées, un libraire aimable, le silence brisé de temps à autre par le tintement de la caisse. Et puis il y avait l'escalier, un petit escalier de bois qui conduisait à l'étage du dessous : pour moi, c'était comme descendre au cœur de la terre.
Des milliers de vieux livres, couverts de poussière, s'entassaient sur des tréteaux, dans l'air le parfum des pages anciennes, quelques faibles ampoules rendaient cette atmosphère encore plus mystérieuse et fascinante.
p. 62
Parce que la mort change tout, tu n'es plus le même, tu n'es plus! C'est cela le mystère, ou peut-être n'y a t-il aucun mystère, la vie finit et basta. Il faut être content avant, comprendre combien il est beau d'être, regarder le ciel, sentir les parfums.
Solitude
Je n'ai jamais conçu le terme solitude de façon négative, mais contrairement à l'acception commune, je l'interprète comme impliquant le soleil, la lumière, l'illumination mentale.
Ce n'est pas un choix facile, parce que la solitude, c'est nous, et c'est une union qui se terminera avec notre propre fin : il faut beaucoup s'aimer, se respecter, ne pas avoir trop de prétention, et surtout se pardonner.
Ce n'est même pas un choix égoïste, au contraire, et sans vouloir citer le premier commandement, plus on s'aime soi-même et plus on est disposé à aimer les autres.
p. 115
mi dico "Je suis une privilégiée, j'ai le temps avec moi, un bel endroit où vivre, pour le moment j'ai aussi la santé. Je peux me lever le matin et regarder ,dehors par la fenêtre, le pré, le verger, entendre le chant des oiseaux et celui du fleuve; Chaque fois que je le veux. Je peux décider de ma journée, organiser le travail et le temps : je suis une femme libre".
p.99
Tiroirs
Les tiroirs de ma maison sont déloyaux et malhonnêtes, ils cachent les factures et les papiers, volent des certificats avec un culot incroyable, en rejetant toute la faute sur moi, ça ne les inquiète pas de me plonger dans l’anxiété et dans le doute sur mes facultés intellectuelles.
Ils utilisent des stratégies si sournoises et subtiles que je n’arrive pas à les prendre sur le fait : celui du buffet à fait glisser un reçu au fond du tiroir et de là dans le bas du meuble où se trouvent plats et casseroles.
Et c’est juste parce que j’ai décidé de faire des confitures que je l’ai retrouvé tout froissé, dans une casserole, deux ans plus tard.
En réalité il commence à me plaire ce rapport d'égal à égal : je le traite comme un adulte et j'ai l'impression qu'il apprécie la considération dans laquelle je le tiens et le sérieux avec lequel je l'écoute;
J'ai taillé les rosiers, les branches du cerisier, les sarments de glycine, les songes. Tailler les rêves les rend plus forts, plus concrets, donne un nouvel élan aux projets et aux espoirs.
L'enfance vous offre des paradis, le mien était là, si parfait, si intense en émotions, si chargé de ce bonheur que je poursuis encore, et qui par moments illumine mon parcours et me rend reconnaissante à la vie et au destin.
Le bonheur laisse des signes et des traces, quand on l'a éprouvé, on le poursuit avec la certitude qu'un jour ou l'autre on sentira à nouveau ce frisson, ce choc soudain sur la peau qui donne son sens à une vie ainsi que la conviction que cela a valu la peine de la vivre.
p. 98
Ce qu'il ne sait pas est que sa présence a un peu secoué l'équilibre conquis au fil des ans, la certitude de mon autonomie affective, le rythme de mon temps et de mes jours.
C'est un artiste, le lierre, cruel et créatif, il tue et recrée avec l'imagination innocente des enfants, il peuple le bois mort de créatures pleines de vie.
Chaque fois que je le vois, je pense à ses méfaits, à ceux qu'il a sacrifiés pour resplendir, florissant de la substance de ses victimes, autour desquels il a resserré ses tentacules implacables en quête de forme.