Dans les romans populaires, on n’écrit jamais sur une fille totalement inintéressante. Il y a toujours une chose qui la distingue et la différencie des autres. Toujours cet instant où elle défie les habitudes. Il y a ce moment où elle change d’école, celui où elle rencontre LE garçon qui va bouleverser sa vie, celui où elle est victime d’un terrible drame. Ce moment qui fait qu’elle ne sera plus jamais la même.C’est comme ça qu’on commence un roman. Et, comme toutes les héroïnes, j’ai dû attendre mon heure.Si mon histoire commence le six octobre, ce n’est pas pour rien. C’est le commencement de ma nouvelle vie, de mon retour parmi les vivants. Ma bulle a légèrement éclaté, me permettant d’apercevoir une petite parcelle du monde. C’est apeurant, mais je tente. C’est le début. Et comme chaque début, il mérite d’être raconté et entendu.
Pendant un court instant, j’ai envie de lui dire la vérité et de pleurer durant des heures pour qu’elle me réconforte. Le problème, c’est que ma mère n’est pas une femme qui a pitié des autres. Elle ne se sentira pas triste ou désolée pour moi. Elle sera furieuse que j’ose pleurer à cause d’une maladie qui ne doit jamais être plus forte que moi.
Moi, j’aimerais en prendre des risques. J’aimerais parfois sortir de ma zone de confort, et vivre dangereusement comme les filles de mon âge. Mais, je sais, je connais la chanson : on ne blague pas avec sa santé.
Mon rêve un peu utopique serait de devenir comédienne un jour. Je ne suis pas vraiment passionnée par le cinéma ou le théâtre, mais je rêve de pouvoir monter sur scène et parler devant une foule. Ça me semble si impossible à réaliser que je m’autorise à le faire seulement dans mes rêves les plus fous.
En réalité, je prends mon temps pour retarder le moment fatidique. Je sens la tension prendre doucement le contrôle de mon corps. Lorsque je serai devant ces jeunes, elle sera entièrement là. Je ne peux rien y faire. J’ai besoin d’être prête à assumer le regard des gens.
Je suis ce qu’on appelle une fille stable. Je ne change jamais, même pour les occasions particulières. La routine me permet de ne pas stresser, et d’avoir le contrôle sur tout ce qu’il se passe autour de moi. C’est également primordial. Essentiel, je dirais même.
Je déteste être cette fille peureuse et silencieuse. Je déteste laisser Gilles gagner et avoir l’ascendant sur moi. Comme un être maléfique posé sur mon épaule, mon amie m’accompagne avec toute sa bienveillance.
Je souris. Il me pense naïve, je comprends beaucoup de choses. Je sens tous les changements. Je les vis littéralement. Ma vie est si parfaitement organisée que j’arrive à anticiper ce qu’il peut se passer.
Je ferme rapidement le cahier sans me relire. Je déteste le faire. Écrire son échec est déjà suffisant. Une fois que je couche tous ces mots sur le papier, je les enterre pour toujours. Je dois avancer.
Être un poids pour tous ceux qui comptent pour moi me conforte dans l’envie de garder Gilles un peu pour moi. J’évite donc de leur parler de tout ce qui me traverse l’esprit.