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Citation de enzo92320


[L’expérience de Victor Considérant à Réunion (Texas)]

Au Texas, V. Considérant concrétise le projet. Il fonde une colonie — Réunion — à proximité de Dallas et à moins d’une centaine de kilomètres de l’endroit où, quelques années plus tôt, 485 Français avaient projeté de s’établir pour appliquer les préceptes communautaires d’E. Cabet. Godin suit de très près le développement de Réunion et s’emploie à de multiples tâches. Nommé gérant du bureau de Bruxelles avec A. Bureau et F. Cantagrel, il participe au recrutement des volontaires intéressés par l’aventure puis s’occupe de leur départ. Il se soucie également de l’organisation concrète de Réunion.

La première difficulté est liée à la capacité des colons à remplir leurs fonctions. Sur place, F. Cantagrel se lamente. Le 7 octobre 1855, il écrit aux gérants restés sur le Vieux Continent pour leur demander de « ne laisser partir pour Réunion que des phalanstériens ayant de la fortune, des capacités éprouvées, étant célibataires ou mariés sans enfants jeunes », etc. Godin lui répond : « Pas d’illusions, mon cher Cantagrel. La majorité des phalanstériens, des vrais croyants, des hommes de foi ayant comme vous le dites de la fortune (et Dieu sait quel en est le nombre !) sont dans les fonctions dites libérales. Des phalanstériens garçons, ou mariés avec femmes capables, sans enfants jeunes, laboureurs labourant, charpentiers charpentant, et possédant des ressources, mais c’est là de l’idéal, de la théorie et nous sommes devant la pratique ! » En un mot, Godin milite en faveur de la migration de personnes aptes à exercer des métiers utiles pour la communauté plutôt que d’individus convaincus mais dans l’impossibilité de fournir une quelconque contribution matérielle au collectif.
Godin constate par ailleurs qu’à Réunion les principes d’organisation du travail adoptés encouragent le laxisme et l’inefficacité. Les hommes et les travaux sont répartis en six classes. Les ouvriers sont payés à l’heure à des tarifs variables selon les groupes, non à la tâche comme prévu initialement. Seuls les chefs de fonction sont rémunérés au mois. [...]

Godin n’est guère écouté. Il est même marginalisé par ses collègues en charge à Paris de la gérance de Réunion. Le petit groupe publie alors un Bulletin de la société de colonisation européo-américaine. Jugés trop médiocres dans leur forme, les articles proposés par Godin sont systématiquement refusés. L’autodidacte Godin ne peut rivaliser avec ses amis, pour la plupart diplômés de l’enseignement supérieur, et peu amènes à son égard. [...]

Réunion est de toutes manières un échec. Incapable de diriger, V. Considérant jette l’éponge. Le principal disciple de C. Fourier en est à ce point affecté qu’il tombe en dépression et recourt à la morphine pour panser ses blessures psychiques. [...]

Godin avait-il anticipé la déconvenue de Réunion ? Au début des années 1850, il pressentait en tous les cas les difficultés concrètes de toute aventure fouriériste. En 1853, dans une lettre adressée à F. Cantagrel, Godin évoque les difficultés des phalanstériens à édifier des colonies. Il se laisse aller à la confidence. « Cela m’amène à vous dire que depuis que j’ai été obligé de refouler si profondément mes espérances de réalisation phalanstérienne en France, œuvre en vue de laquelle je n’aurais pas voulu éparpiller le peu de force et de concours que je pouvais lui accorder, je me suis déjà demandé bien des fois si ma position ne me permettrait pas de réaliser, à côté de mon établissement, une cité ouvrière dans laquelle un véritable confort serait accordé à mes ouvriers, eu égard à l’état dans lequel ils vivent. »

L’échec de Réunion n’a pu que conforter Godin dans son ambition personnelle. Dans Solutions sociales, Godin dit à nouveau combien sa déception a pu s’avérer finalement déterminante pour l’avenir. « Il me suffira de dire qu’en perdant alors les illusions qui avaient motivé ma confiance, je fis un retour sur moi-même, et pris la ferme décision de ne plus attendre de personne le soin d’appliquer les essais de réformes sociales que je pourrais accomplir par moi-même. » Même conclusion encore en 1883. « Une des causes principales de ces échecs semble avoir été l’insuffisance des études pratiques. Peut-être si l’école de Fourier fut restée exclusivement sur le terrain de l’association entre les divers éléments producteurs, eût-elle réalisé la commune sociétaire ? Nous avons bien la nôtre aujourd’hui, car le Familistère n’est pas autre qu’une commune. Il compte 1 200 personnes, il a ses conseils et comités spéciaux, son administration propre. »
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