« C'était une ville où on ne pouvait se cacher nulle part, aussi les gens planquaient leurs secrets en pleine lumière »
Ce que Majella n'aimait pas est un roman original, authentique et persillé d'humour, porté par un souffle à part : où d'autres plumes auraient dérapé dans un misérabilisme poussif, l'autrice nord-irlandaise Michelle Gallen réussit au contraire, du début à la fin, à naviguer en douceur, d'une plume légère et pleine d'acuité. Et surtout, ce roman est porté par une figure que je ne suis pas près d'oublier : Majella, tellement attachante et incarnée, à qui on ne peut s'empêcher de souhaiter le meilleur.
« Se lever tôt, ça signifiait que la journée serait d'autant plus longue. Des heures et des heures à s'emmerder, à traîner à la maison en écoutant sa mère se plaindre de sa gueule de bois. »
Il ne se passe pas grand-chose, dans ce roman. C'est « juste » la vie. Une semaine de vie, du lundi au dimanche. La vie de Majella, la vie de sa petite ville d'Irlande du Nord située en bordure de frontière avec la République d'Irlande (Donegal), qui a pris cher avec les Troubles (le roman se passe cinq ans après à peu près), une petite ville où les quartiers catholiques et protestants sont toujours séparés par un pont, et où le taux de chômage chez les catholiques avoisine les 90 %… Une semaine de vie qui, on le réalise assez vite, contient de nombreuses autres semaines, car à Aghybogey, tous les lundis se ressemblent, tous les mardis sont pareils, et le reste à l'avenant. Majella travaille le soir dans un fish and chips qui, avec le pub, est l'attraction incontournable du quartier catholique d'Aghybogey (la seule ?!), et invariablement, comme le soleil se couche, untel vient manger un pané frites après avoir bu ses neuf pintes (!!!) et unetelle commande des pois au curry et des frites au vinaigre. Et toujours les mêmes gens, les mêmes blagues, tous les soirs, de tous les jours, de toutes les semaines…
Toujours pareil ? Non, en fait non, car le roman s'ouvre sur un drame : la grand-mère de Majella vient d'être assassinée, rouée de coups dans sa caravane, et la pauvre est décédée quelques jours plus tard à l'hôpital.
« Juste » la vie ? Certes, mais Ce que Majella n'aimait pas raconte une vie à part. le père de Majella a disparu il y a des années, et Majella vit aujourd'hui seule avec sa mère belle, futile et colérique, dépressive et alcoolique. Majella est très corpulente et l'assume avec panache, tout en ayant développé une technique de caméléon pour ne pas être remarquée. Sans que cela soit vraiment dit, on la devine atteinte de troubles du spectre de l'autisme. Elle a appris les codes et les clefs pour vivre en société, les attitudes à avoir, les choses à faire et à dire pour passer la plus inaperçue possible dans ce monde trop étriqué pour elle à tous les niveaux. Majella a des marottes et des routines, et elle fait des listes. Il y a les choses qu'elle n'aime pas, avec en tête : le bavardage, les contacts physiques et le bruit ; et les choses qu'elle aime : manger et la série Dallas, son père et sa mémé, la Smithwick's et faire le ménage, le sexe et les sèche-cheveux. Des listes avec des sous-catégories, par exemple, objet 3.7 : Bruit – les trucs qui se cassent (Ca m'a fait rire, ces listes détaillées).
« Majella trouvait ça vraiment dommage que Peadar doive grandir. Dans quelques années, il serait comme les autres, assis au bar à glousser, arborant une bedaine engraissée à la bière, trop bourré pour bander correctement. »
Les pages de Ce que Majella n'aimait pas se tournent au fil des jours à Aghybogey et au prisme des listes de Majella… et ce roman fut incontestablement un coup de coeur. Je vous en recommande vivement la découverte !
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