À la fin des années 2000, Emmanuel Todd constate qu’alors que les études supérieures ont été réservées à une infime minorité dans la France noble puis bourgeoise, le fait qu’une bonne proportion d’une génération accède à celles-ci donne au groupe des éduqués supérieurs un caractère massif inédit, et autorise à parler de l’apparente contradiction d’une « élite de masse » dont l’unité de décompte n’est plus le millier, mais la centaine de milliers, voire le million. [...]
Tout le paradoxe est que la véritable élite était, par son étroitesse même et sa vie radicalement différente du commun des citoyens, contrainte de se préoccuper des masses, ne serait-ce que pour les garder à l’œil et les discipliner. Mais lorsque l’élite devient elle-même une masse, se développe un phénomène d’enclavement involontaire et non formulé, que renforce la concentration spatiale de ces diplômés : « Pour la première fois, les “éduqués supérieurs” peuvent vivre entre eux, produire et consommer leur propre culture », souligne Emmanuel Todd.
La haute société éducative est aujourd’hui arrivée à maturité au point d’avoir inventé non seulement un nouveau modèle de « premiers de cordée », sorte de techno-élite contemporaine, mais également une alternative socioculturelle elle-même culturellement homogène : une alter-élite ou contre-élite, qui propose sa propre vision de la réussite sociale, selon sa propre échelle de succès, dans laquelle l’excellence peut être plus morale ou socioculturelle que strictement financière.
Les 20 %, certes, constituent bien un univers en soi au sein des sociétés développées, mais ils sont traversés par de multiples tensions internes, autour du clivage idéologique qui oppose un establishment solidement arrimé à ses prérogatives de classe et un bloc rebelle en recherche de nouvelles solidarités et de formes sociales innovantes.