Citations de Myriam Mallié (33)
Vos chemins sont des ponts tendus entre moi qui déchire et vous qui ravaudez.
(p. 70)
Maintenant, vous marchez. Le ciel est sans oiseaux. L'océan chante une chanson fraîche qui apaise vos pieds. Dans votre dos, la ville a ouvert ses lumières, ses boutiques à succès. Y circulent les nouvelles du monde, la guerre, le froid, la faim et tant de tyrannie. Les oiseaux eux-mêmes sont devenus suspects, on les confine en hâte quand c'est nous qui souffrons du virus de la cage. On pille, on tue pour des caricatures, sans voir que tout grimace, à commencer par soi. Les dieux que nous aimions sont montrés en spectacle. Les théâtres sont pleins de paroles trompeuses et les livres aussi. Les enfants ne jouent plus qu'avec leur téléphone. Où se trouve la voix qui pourrait rassurer ?
(p. 64)
Le fond de l'océan est un lieu sans mémoire. Et sans elle, où est le terreau nourricier du désir ?
(p. 53)
Ce qui est à vous, depuis longtemps, c'est la déchirure qui soudain prend feu. Vous l'aviez oubliée. Elle est là et c'est comme un lance-flamme à l'intérieur. Vous hurlez, mais qui vous entend ? Ils sont tous partis. Crier ce n'est pas dire.
Pour trouver sa place, d'abord s'occuper de se trouver une langue, voilà ce que vous commencez à comprendre. Tout part de là. La parole est territoire.
(p. 47)
On ne sait pas assez l'effort de monter, de s'extraire des fonds où l'on s'est construit, où l'on vous a construit. Après, il faut refaire. On croit que c'est simple, qu'il suffit de dire non, de s'en aller. Mais on ne s'en va pas, on tourne le dos, simplement. Et l'on tire avec soi tout ce qui est et reste à nager sous la surface, et rôde les yeux rivés sur vous. Ce qui, dans votre dos, vous dit de revenir, vous rappelle qui vous êtes, que là-haut, vous attend une vie d'étrangère. [...]
Plus tard, vous connaîtrez la nostalgie, qui vous laissera désarmée. Les regrets, qui ébranleront vos édifices. La culpabilité, qui vous éprouvera jusqu'aux talons. Il y aura une frontière, desormais, et de lourdes barrières pour séparer le pays d'avant de celui d'après.
Et vous, divisée, cherchant à relier.
(pp. 37-38)
C'est la terre maintenant qui sera ton appui. Il y a des chemins, des arbres et des hommes. Tu porteras chez eux ce que c'est qu'être une femme et les récits que tu engendreras. Tu seras la fendue qui lie l'eau et la terre, qui pourtant se négligent. De ton sexe viendra une parole. Si tu sais l'écouter, elle donnera la vie.
(pp. 34-35)
D'abord elle écoute. Des jambes de femme, pourquoi pas ? Elle ne juge pas, ne fait pas de commentaires. Simplement elle dit : il faut payer. C'est la loi. La loi de la vie, des passages, c'est la loi du désir. Elle, la Mutilante, elle aura à porter l'interdiction de la faiblesse. Sa parole sera tranchante.
(p. 31)
[I]l a gardé la peur qui a goût du naufrage. La mer, il n'en veut plus, ou il faut s'en défendre. Toujours, il se raidira quand vous l'approcherez, comme s'il se souvenait d'une ancienne noyade, d'un étouffement sans nom. Pour vous c'est une vie de joie que révèlent ses traits, pour lui c'est une chute opaque et qui va vers la mort. C'est vous qu'il fluira, derrière d'autres visages. C'est vous qu'il cherchera parmi les autres femmes, sans voir que la plupart ont encore cette queue de poisson qui vient des origines, et qu'elles traînent avec elles par peur du sacrifice. C'est encore un enfant. Les femmes qu'il aimera seront des petites filles. Celle-là, vous, qui s'est donnée des jambes et franchi la surface, il ne la verra pas. Vous avez à l'apprendre. Et ce sera par lui.
Car l'histoire est en cours, veut s'inscrire dans la chair. C'est à ça que l'on sait quelle est sa vérité. Elle vous fendra en deux.
(pp. 28-29)
Mais peu à peu, la mémoire, anesthésiée par le choc du passage, reprend ses droits. L'arrière-pays retrouve existence et fait durement sentir sa présence, sa séduction. Vous commencez à souffrir. Si vous hésitez, si vous ne pouvez résister à ce chant d'avant, si vous vous retournez, vous êtes perdue.
Vous fixez l'horizon. Là, le pays de devant chante son attente et les vives promesses qui vous sont destinées. Mais le chant de l'arrière a les voix émouvantes de ceux qui se savent reliés et dont l'amour appelle. Écouter vous devient douloureux.
Vous apprendrez lentement à laisser se faire en vous un chant troisième, unifiant les deux autres, ne les opposant pas. Ce sera long, ce sera plein de doutes, de reprises, de silences troublés.
Ce sera beau aussi, inévitablement.
(pp. 16-17)
La mer était un corps qu'il vous fallait quitter. Mais sans corps, pas de mots.
Vous apprendrez que chercher la parole, c'est retrouver la mer. Donner chair aux images, c'est marcher sur les eaux.
La parole a ses lois.
(p. 14)
Le conte, toujours, mène à l'autre.
Pas de conteur guérisseur. Pas de conteur redresseur de torts. Pas de conteur prêcheur. Le conte vaut par lui-même, par ce qu tu en fais, ce que tu as accepté qu'il fasse en toi, vaut ce que l'autre en entend.
Ne pas attendre de se sentir prêt. La parole conteuse est toujours en avant de nous.
Raconter n'est jamais qu'un balbutiement.
Revenir dans la ville d'enfance, c'est se réconcilier.
Être conteur, c'est être proche.
Être proche, c'est difficile.
Être proche, c'est ouvrir un espace.
Le temps de raconter est le temps de l'unification. C'est une joie. Elle ne dure pas.
Là où se tient l'esprit d'un lieu, là le conte appelle.
Parler par images. Faire parler les images.Donner à l'imaginaire, où l'âme a ses territoires, l'espace qui est le sien à l'imagination et la possibilité d'agir sans entraves, pour la rejoindre.
Il faut du temps, de la précision. de l'honnêteté et une bienveillance sans faille. Les rétablir, s'il y en a.
Les vies sont des contes et les contes nous racontent nos vies.