Les mots des autres ont ce pouvoir : ils permettent d'élargir notre vision, de la rendre plus aigüe et de lui donner une multitude de significations auxquelles nous n'avions pas pensé auparavant.
Évidemment, cette initiation n'est pas continue, ni plane comme un lac. C'est plutôt une série de tsunami, qui submergent le voyageur de temps à autre, détruisant ses croyances en même temps qu'ils révèlent sous leur écume les joyaux d'une expérience nouvelle et éblouie.
C'est le troisième présent que nous offre Nicolas Bouvier : une certaine façon de vivre le monde et le temps. Il ne s'agit pas de s'adapter à un lent cheminement continu qui deviendrait corrosif. Il s'agit de savoir profiter de cette flânerie qu'offrent le voyage et la vie, pour se rendre plus disponible aux fulgurances. Pour Nicolas Bouvier, c'est dans la lenteur que se trouve cette allégresse de vivre qui sous-tend notre présence au monde.
Voyageur aux aguets, esprit en alerte et sensualité toute vive, éclats de rire, frissons de plaisir, sursauts de frayeur ou élans d'amour, ce que nous propose Nicolas Bouvier est, encore aujourd'hui, une certaine manière d'adapter notre élan vital aux contorsions surprenantes et cocasses du monde. Vivre à force de coups de foudre, respirer en se remplissant d'émotions, marcher sur une arête tremblante entre la plénitude heureuse et le noir désespoir.
Comment puis-je être moi-même ? Comment rendre compte de cette absurdité du moi qui veut prendre toute la place dans ma vision du monde ? Comment effacer le moi qui me rend aveugle aux surprises et aux merveilles de l'univers ?
(Ultreïa! n°7 ; A propos de Nicolas Bouvier)