Comme tout le monde je crois, ou presque tout le monde disons, j'aime les voyages. La moindre carte, la simple vue d'une boussole me fait fantasmer. Pourtant, j'ai peu bougé au cours de ma vie et pendant longtemps, j'ai jalousé presque toutes les personnes qui revenaient de longs voyages ou qui partaient loin.
Un jour, j'ai découvert une phrase de
Nick Tosches qui m'a à jamais consolé. Dans un de ses romans, le Roi des juifs, l'écrivain américain a écrit ceci (je connais la phrase par coeur) : “And you can go as far in a room as you can in the wilderness” c'est à dire, plus ou moins, "On peut aller aussi loin dans une pièce que dans la jungle.” En un instant, en une phrase, noyée dans un roman qui part dans tous les sens et pourtant décisive, eut donc lieu la rédemption. Vengés, tous les voyageurs sédentaires, les globe-trotters immobiles, les rêveurs, les vrais, qui préfèrent garder dans leur imaginaire leur terra incognita plutôt que d'en violer le sol comme autant de Cortès.
Bien sûr, j'ai lu avec passion les grands récits des écrivains-voyageurs, des poètes aventuriers. C'était une façon de voyager aussi, de ma chambre, de mon café. Il n'est nul besoin de partir aux Etats-Unis pour ressentir le souffle de Sur la Route. A vrai dire, je n'ai jamais compris les gens qui entreprenaient les voyages décrits en roman. Ne peut-on pas envisager Sur la Route de Kerouac comme un échec total s'il vous pousse à partir sur la même route ? Cette route, avec Dean, je l'ai empruntée, merci. Pourquoi donc refaire le chemin ?
A vrai dire pourquoi se donner la peine de partir quand on peut justement lire les récits de
Jack London ou de
Nicolas Bouvier ?
Dans
Nicolas Bouvier, passeur pour notre temps,
Nadine Laporte dresse, avec une plume magnifique, un portrait subtil de l'un de ces écrivains voyageurs et surtout pose des questions qui naturellement, nous transpercent tous. Qu'est-ce qui pousse quelqu'un à partir ? Et à partir loin, dans des lieux incertains, avec pour seule compagnie un sac à dos précaire ? Chaque titre de chapitre sonne comme autant de tentatives de réponse : « Transformer le monde en merveilles » ; « Goûter au bonheur ineffable » ; « Dire les formes et les couleurs ». de fait, la vie, l'oeuvre et, on le découvre en lisant ces lignes, l'attitude de
Nicolas Bouvier sont autant d'invitations au voyage. L'homme, un suisse de bonne famille, entouré de livres dès son plus jeune âge décide très vite que sa vie sera un voyage continu : « S'arracher : c'est ce voeu que murmure de manière incessante cette force vitale en nous entre 16 et 20 ans.
Nicolas Bouvier écoute le murmure, qui s'oppose à tout ce qu'il connaît et à reçu en cadeaux de la vie». Avec son ami photographe
Thierry Vernet, il décide de partir. Ils partent souvent, de plus en plus loin. Leur premier grand voyage, ils se le disent entre eux, sera l'Asie, terre du passé, ancêtre de l'Europe, il sera toujours temps, ensuite, de partir vers son futur, l'Amérique. le fait de partir à deux est une particularité des voyages de Bouvier et de son récit le plus fameux « Usage du Monde ». le rapport à la route n'est pas le même quand on est deux : « Chacun soutient l'autre, les rouages sont parfaits, et même la mort ne fait plus peur. […] Dans
l'usage du monde que nous propose
Nicolas Bouvier, l'amitié est une fabuleuse aventure. Discrète, drôle, mystérieuse. Emouvante, complexe, toujours surprenante. En elle rayonnent et palpitent les gaies propositions de la vie.». Voyager en compagnie de
Nicolas Bouvier, c'est découvrir un certain aspect de l'amitié. Ce n'est pas l'amitié qui permet de vivre plus agréablement l'aventure, c'est l'amitié qui fait l'aventure.
De fait, dans ce livre que
Nadine Laporte refuse de considérer comme une biographie, on trouve mille raisons de partir. Tout, dans les voyages, l'attitude de
Nicolas Bouvier, la façon dont la route l'a changé, tout invite à suivre son chemin, ou s'en faire d'autres. Ce ne sera pas moi, certes, mais qu'importe. Bien racontée, comme c'est le cas ici, la vie des grands voyageurs est aussi passionnante que leurs voyages. Encore, une fois, pourquoi partir alors que j'ai pu partir en Anatolie en compagnie de Bouvier, pourquoi être Bouvier, alors que je l'ai été intégralement, le temps de cette lecture de ce livre signé
Nadine Laporte ?
On peut évidemment lire cet ouvrage simplement pour en savoir plus sur Bouvier et notamment le Bouvier écrivain. Un beau voyage en somme qui vous fera découvrir
Nicolas Bouvier mais qui vous fera aussi réfléchir à votre propre rapport au voyage.