- Tu dois mal choisir tes compagnons de bar. J'ai entendu dire qu'Hollywood était infesté de bolcheviks!
-Tu veux dire des bolcheviks en peau de lapin qui marchent à la carotte ! Et dès que ça commence à chauffer, on se met à table devant ses pires ennemis politiques.
De sinistres bureaucrates pouvaient vous assigner à comparaitre si vous aviez eu l'infortune de fréquenter un «renégat à la solde du Kremlin» ou une «extrémiste séditieuse ». Coucher avec un Rouge, cétait faire le lit de Staline - vous étiez alors dans de sales draps.
Une rue étranglée me mena jusqu'aux limbes de la ville. Les Enfers coudoyaient les magnificences mauresques et les palais immaculés de la République. Il suffisait de bifurquer dans une rue pour se retrouver au cœur de toutes les infamies, de toutes les turpitudes de ce régime décadent. Un pas à droite, c'était la promenade du Prado. Un pas à gauche, c'était le Barrio de Colon et la rue de la Vertu — ou plutôt "des petites vertus". Calle Virtudes dégueulait de jineteras de moins de vingt ans qui vous accostaient en bas résilles et talons hauts, se déhanchaient dans un halo de lumière rose et rouge sous les néons d'une quantité de night-clubs d'où surgissaient des rabatteurs embusqués ; et tous ces mouvements de la rue étaient la folle chorégraphie de l'assourdissant concert des musiques enchevêtrées, jazz et cha-cha-cha, mambo et rock n' roll qui s'élevaient des autoradios, s'échappaient des juke-box, retentissaient depuis la scène des night-clubs. On vous proposait des jeunes filles, des jeunes femmes, des lesbiennes, des travestis, des noires, des blanches, des un peu moins blanches, des spectacles pornographiques, des images pornographiques, de faux gagnants de la loterie nationale, de la marijuana, de la cocaïne, de l'héroïne. Depuis les balcons des bordels, des adolescentes en porte-jarretelles apostrophaient les marins et les touristes, exposaient leurs seins aux clameurs enthousiastes, provoquaient d'un geste ou d'une parole des jappements de chien en rut. La route des enfers n'est pas forcément pavée de flammes et de tortures, elle peut être bordée de séduisantes libations pour qui a le goût de l'oppression et détient le visa de l'immunité.
J’hésitai à lui dire qu’un inconnu suivait Sam en voiture depuis des semaines, espionnait sa maison la nuit et avait même glissé une lettre anonyme dans sa boîte. J’hésitai aussi à lui demander si mon frère avait des ennemis. Quelque chose me retenait. Un sentiment indéfini que je mis sur le compte de son amertume et de son ironie.Lester n’était pas l’ami à qui on se confie. Il était l’ami avec qui on dit du mal des autres.