Citations de Nora Lake (35)
Et sans me regarder, il se leva et quitta la chambre, laissant dans son sillage un parfum de déception. C'était la première fois qu'il y était entré. Et il était déjà reparti, me laissant tremblante, le souffle court, seule avec le feu qui s'était ranimé.
« Mr Edwards, pensez-vous que le manoir ressent ?
- Bien sûr, répondit-il en m’adressant un sourire en coin. Les murs ont une mémoire. Ils sont les gardiens de nos peines, de nos joies, de nos amours.
- Vous croyez donc qu’il est hanté ?
- Toutes les maisons le sont,Alice. Certaines seulement plus que d’autres. »
Nous gravîmes les marches, l’escalier grinçant sous chacun de mes pas, comme si le manoir grognait et gémissait à mon arrivée.
J’avais l’impression que le lierre du manoir tapissait ma cage thoracique, enserrait mon cœur, entourait mes os.
Assise près de la fenêtre, ne suivant que distraitement la leçon en cours, j'observais avec fascination la brume s'épaissir jusqu'à engloutir toute couleur du paysage automnal, donnant à voir un décor spectral et vaporeux. J'avais toujours aimé cette saison, ce moment où la nature semble être greffée d'un voile de brouillard dans lequel s(attardent les gouttelettes de pluie.
Nous restâmes un long moment ainsi, perdus dans notre contemplation, bercés par cette atmosphère hors du temps qui nous entourait de son aura mystérieuse, mais si j'étais sûre d'une chose, c'était bien que je ne m'étais jamais autant sentie à ma place.
Non, je pense que je préfère les pions.
- Vraiment ? Mais ... ce sont les pièces les moins intéressantes du jeu.
- Celles qui suscitent le moins d'intérêt, vous voulez dire, répondit-elle en souriant légèrement, effleurant de ses mains fines aux ongles longs l'une des pièces en question. Elles n'ont aucune prétention, aucune stature. Leur forme est simple, leurs déplacements le sont tout autant. On ne les remarque jamais, du moins jusqu'à ce qu'elles atteignent l'autre côté du plateau. Et là .. les pions se transforment. En tour, en fou. En dame, même. Et alors on se rend compte que l'on a mal joué, car on les a sous-estimés.
« Que lis-tu aujourd’hui? demande-t-il d’une voix distraite.
- Les mystères d’Udolphe, répondis-je, l’observant tourner la page de son journal sans relever les yeux.
- Cela fait bien deux semaines que tu l’apportes à table. Tu n’apprécies pas ta lecture ?
- Au contraire ! Je la trouve énormément réconfortante. Je dois admettre me retrouver parfois dans le destin tragique d’Emilie.
- Es-tu en train de me dire que tu fais un parallèle entre toi et une jeune femme persécutée par un homme et recluse dans un château ? »
Ses yeux brillant d’une lueur de défi et de malice plongèrent alors dans les miens, un sourire en coin se dessinant sur la partie visible de son visage.
« Bien sûr que non, répondis-je après quelques instants de réflexion, hypnotisée par son regard. Votre manoir est très impressionnant, Mr. Edwards, mais il serait exagéré de le comparer à un château »
Je pris alors une gorgée de mon thé, ravie de l’effet produit.
P. 90
Les notes déchirantes valsaient avec les plus légères, et l'air prenait des allures de complainte et de chant d'amour.
Lire avait toujours été un réconfort, un remède. Je trouvais dans les livres un écho, il me semblait que les histoires prenaient la place des choses trop difficiles à dire.
Il faut savoir se mettre à nu pour accueillir la littérature, il faut l'être tout autant pour en parler
Il maîtrisait l'adagio, le crescendo, les notes mineures et majeures, la façon que j'avais de résonner.
Ce qu'il y a de plus terrible avec la nuit, c'est qu'elle revient à chaque fois.
On accuse toujours les autres, quand on meurt. Parce qu'accepter que la malchance existe, accepter l'absence d'explication, cela veut dire devoir accepter que personne ne veille sur nous.
- Les murs ont une mémoire. Ils sont les gardiens de nos peines, de nos joies, de nos amours.
- Vous croyez donc qu'il est hanté ?
- Toutes les maisons le sont, Alice. Certaines seulement plus que d'autres.
« Allez, va-t’en, dit Lizzie d’une voix faussement légère. Pas d’aurevoirs.
- Pas d’aurevoirs, concédai-je.
Elle tentait d’éviter mon regard qu’elle finit par croiser. Je me perdis dans ses prunelles embuées.
P.30
On raconte que l'enfer est brûlant. On raconte que des flammes y dansent sans s'interrompre. Qu'il y fait une chaleur insoutenable. Mais il faisait affreusement froid, ici.
Les hommes, fiers dans leurs costumes, servaient à leurs compagnes des paroles doucereuses dans l'espoir de les voir se pâmer dans leurs bras. Ils les imaginaient sans doute frêles et crédules, alors que c'était bien elles qui menaient la danse avec leurs regards embrasés.
Nous restâmes un long moment ainsi, perdus dans notre contemplation, bercés par cette atmosphère hors du temps qui nous entourait de son aura mystérieuse, mais si j'étais sûre d'une chose, c'est bien que je ne m'étais jamais autant sentie à ma place.
Puis, je finis par le voir. Perdu dans une trouée entre les arbres, sa pointe perçant le ciel, le manoir, gigantesque, se dressait au bout du chemin. Sa façade gris cendre se fondait dans le décor, comme si la végétation l’engloutissait. Des vestiges de lierre d’été grimpaient le long de l’une des ailes de la bâtisse. Cette dernière présentait une architecture étonnante, tout en poques et en ciselures, percée de grandes fenêtres qui ne reflétaient que l’extérieur. Bien qu’il semble entretenu, eu égard à la propreté des vitres et des pierres, on aurait pu croire que le manoir était abandonné tant la vie semblait l’avoir déserté.
PP 32-33