"Le mal est parfois d'une extrême simplicité" nous rappelle Jean-Luc André d'Asciano, l'éditeur, dans la préface de cette enquête très bien documentée de l'auteure Emmanuelle Jouet.
Une succession d'imprévoyances, d'incompétences, de lâchetés, d'aveuglement, une bonne dose d’intérêts personnels, l’appât du gain, tout cela permet au mal de se déployer grâce à son opportunisme coutumier. Combien avait intérêt à ce que ces enfants soient abusés, maltraités, violés, affamés, livrés en pâture à des salauds ? Combien ? Nombreux. De 1905 à 1911. Ils savaient, se taisaient, profitaient d'un système. Assassins et complices. Premier jugement rendu en France en cet été 1911 , à l'encontre des gérants d'un institut éducatif et sanitaire pour enfants. Les peines paraissent bien insuffisantes, la main de la justice bien légère, son rayon d'action bien petit..."dysfonctionnement structurel"...
Résultat effroyable...lorsque qu'un état, dans l'exercice du service public qu'il doit à sa nation, se désengage financièrement et moralement et qu'il livre les plus fragiles les plus démunis aux mains d'un service privé. (Cela vaut pour l'éducation, la santé, la sûreté et pour tant d'autres secteurs).
Sans contrôle, sans regard, sans conscience....
Et si les enfants de Vermiraux n'avaient pas eu ce courage et la force de se révolter, peut être, alors, n'y aurait-il eu aucun témoin...
Mais ils ont parlé, dénoncé, ils ont dit, nommé, parce qu'ils s'étaient soulevés.
Leurs voix ont été crues et entendues.
Jugement historique, mais qui malheureusement n'a pas ouvert les yeux des institutions concernant leurs devoirs, leurs responsabilités. Lorsqu'on dissocie trop simplement responsabilité et culpabilité , le mal règne et s'étend, et s'acharne. La révolte du pénitencier public des enfants de Belle-île sur mer en 1934 l'a malheureusement prouvé.
Astrid Shriqui Garain
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L’établissement privé des Vermiraux, situé sur la commune de Quarré-les-Tombes dans le Morvan, semblait être le lieu idéal pour répondre à la volonté politique de l’époque sur l’enfance déficiente. L’idée d’alors était d’enfermer ces catégories d’enfants (orphelins, abandonnés, malades mentaux et délinquants) afin d’en protéger la Société mais également pour « les protéger d’eux-mêmes ». La grandiloquente inauguration de 1905, en présence du Ministre de l’Instruction Bienvenu-Martin, marque cet engouement pour ce type d’établissements dont le but était de prendre le mal à la racine, d’étouffer dans l’œuf les vices d'une jeunesse corrompue. C’était un vœu pieu. Pourtant, la situation va très vite se dégrader. Une première révolte a lieu en 1909, à la suite à d'accusations de pédophilie de la part d’un gardien. Les accusations, fondées et avérées, ne conduiront pourtant pas le coupable en prison alors que les enfants seront condamnés à la maison de correction jusqu’à leur majorité. Aux Vermiraux, on souffre aussi de malnutrition, on y mange en quantité insuffisante et la viande est souvent avariée. La soupe, quant à elle, a souvent une odeur de purin ou de pétrole. Cette nourriture qui n’en porte que le nom est rejetée même des chiens. Aux Vermiraux, la surpopulation est catastrophique, on est vêtus en haillons, parfois nu-pieds. Ces mauvais traitements conduiront plus d’un enfant des Vermiraux à la mort. Pendant ce temps, les directeurs se remplissent les poches, encaissent l’argent de l’Assistance publique en toute impunité, sous-louent leurs pupilles aux fermiers des environs. Tout le monde sait mais se tait. Landrin, le directeur, a des appuis hauts placés, il intimide ceux à qui il viendrait l’idée de parler, et les inspections ne sont que simulacre. Jusqu’au bout, ne doutant jamais de lui, il croit pouvoir s’en sortir mais la justice triomphera…un peu. Mais c’est un début. Pour la première fois, des enfants sont entendus, et qui plus est des enfants appartenant à une catégorie d'invisibles.
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Sabots, guenilles, rampants, décharnés, sale, pas assez de lits, de la paille pour les incontinents, une odeur pestilentielle, rien à manger, la teigne, la gourme, les plaies, la pneumonie, des punitions poussées à l'extrême, le suicide, la mort : telle était la vie des orphelins aux Vermiraux.
Parce qu'ils touchaient l'argent de l'Etat pour accueillir les pupilles qu'ils sous-louaient aux paysans, parce que l'institut faisait vivre l'épicier, le menuisier pour les petits cercueils..., tout le monde se taisait. Y compris l'instituteur que l'on comblait d’œufs ou de poulets.
Madame Soliveau, "la Thénardier" arborait quant à elle sautoir et solitaires.
Bouleversant témoignage mené comme une enquête.
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