A la demande d'un intéressé
La main sur le cœur de mon livre,
je certifie que ces vers épouvantables
n'ont pas été écrits par ma main.
Vous allez me demander qui en est l'auteur.
Que la vérité soit bien claire !
C'est mon stylo Sheaffer !
Vous allez voir, mes très chers lecteurs.
J'ai signé un contrat avec ma bonne amie la Poésie :
deux paquets de cigarette par poème
et une boîte de sympathil pour les nerfs.
Fâcheuse affaire, à chaque instant le stylo me téléphonait
pour me demander le sens d'un terme.
A ceux qui prendront la peine de lire ces vers,
sans avaler les points et les virgules
(ne pas confondre ce livre avec un restaurant)
du premier au dernier mot,
je leur souhaite une bonne nuit,
ma poésie étant un somnifère.
Avant de terminer je leur demande
de suivre strictement l'ordonnance.
Je n'ai nulle envie
d'assister à un enterrement.
César Young Nunez in Poèmes routiniers, 1967.
Carnac
[...]
Quel jour que celui-là ! Et comme je m'en souviens bien !
Car ce jour-là nous avons découvert, ou inventé, au moins la moitié du monde qui subsiste et palpite encore.
Par exemple, ce jour-là nous avons compris
(t'en rends-tu bien compte ? nous avons compris),
que les pierres étaient très lourdes,
qu'il fallait les pousser, les transporter, les dresser à plusieurs,
travailler en équipe et non comme auparavant, alors que nous façonnions une hache, une flèche ou dessinions
une peinture rupestre
dans la solitude silencieuse d'un individu accroupi.
Je crois que sans le savoir nous étions en train de faire germer l'idée de compagnon
dans la partie la plus personnelle et intime qu'il y a en nous.
Là nous avons appris à nous aimer et à avoir besoin les uns des autres,
à exister l'un pour l'autre
et à tous nous adapter à chacun d'entre nous.
[...]
José de Jésus Martinez, in Au nom de tous, 1976.
Plante grimpante
Sur le portail en acier
de ma villa
un jasmin
enroule doucement
son exquise beauté ;
et c'est à un petit nid aux senteurs
de blanches et menues
petites étoiles
que ressemble le dur acier
où s'enroulent lianes
et vrilles...
Jardinier :
Je ne sais combien je donnerais
pour transmuer ma chair
rose
en vert jasmin
afin d'enrouler
les lianes
de mes bras souples
autour de ton corps...
et pour couvrir
ton visage et tes mains
et ta bouche de baisers...
petites étoiles menues
que je donnerais
si j'étais un jasmin,
pour te laisser
le parfum de mon âme
et le répandre dans ta vie.
Ana Isabel Illueca
Défense du Panama
La Patrie fut alors
les chemins de l'Indien.
Les grandes plages,
les régions atlantiques
montagneuses et boisées,
les salines aux palétuviers
et les estuaires.
La patrie ce fut la tribu,
les joncheraies,
la gêne de la fumée
dans les cases,
les monts sauvages,
anonymes.
Désolés, hostiles,
les sentiers de l'homme
furent des fleuves,
des cordillères rocheuses
et des jaguars.
[...]
José Franco, Défense du Panama, 1958.
Défense du Panama
[...]
Si le canal était
un endroit de douceur,
si c'était un
sentier d'allégresse,
s'il ouvrait ses
vannes
au bonheur
de l'homme, sans faire de manières ;
si notre drapeau
flottait sur ses eaux ;
si la joie
n'était décapitée...
nous t'accompagnerions,
en saluant les gens,
en créant un monde bienveillant.
Le canal serait un endroit radieux,
une éternelle voie d'amour.
[...]
José Franco, Défense du Panama, 1958.
Urgence
Pour moi il est urgent de te voir heureux
totalement satisfait
j'ai un urgent besoin de ton sourire large
jeune spontané
[...]
Il est urgent pour moi que tu ne te caches pas
que tu me laisses te voir tel qu'en toi-même
pour moi il est urgent que tu te redresses et que tu vois
comment la vie
chante dans mes yeux.
Consuelo Tomas, in Agonie de la reine, 1995.
Un coup de réalité
peut nous arrêter net
nous abattre soudain
nous faire chanceler.
On a besoin que quelqu'un écoute
d'un giron
d'un appui.
Quand cela arrive
bref
sur le moment
on dit : ça fait mal.
Et on ajoute aussi :
ça passera.
Manuel Orestes Nieto in Poète d'utilité publique, 1985