Tassos Livaditis
Né à Athènes en 1921. En exil de 1947 à 1951.
Propos simples
(...)
Nous avions rêvé autrefois d'un grand avenir de poètes
nous parlions du soleil.
Maintenant on blesse notre coeur
comme le clou blesse le pied dans nos bottes.
Le mot "ciel" de jadis est remplacé maintenant par le mot "courage"
Nous ne sommes plus des poètes
seulement des camarades
avec de grandes plaies et des rêves encore plus grands.
(p. 166)
Aris Alexandrou [ Leningrad 1922- Paris 1978 ] De père grec et de mère russe
Entre les cailloux
Pourtant, je ne me suis pas supprimé.
Avez-vous déjà vu un sapin qui descend de lui-même
à la scierie ?
Notre place est ici dans cette forêt
aux branches coupées aux troncs à demi calcinés
et aux racines coincées entre les cailloux. (p. 15)
Nicos Engonopoulos [Athènes 1910-1985]
Poète et peintre. Un des représentants les plus éminents du mouvement surréaliste des années 30
De nouveaux détails sur la mort du poète espagnol Frederico Garcia Lorca le 19 août 1936 dans le fossé du Camino de la Fuente
l'art et la poésie ne nous aident pas à vivre:
l'art et la poésie nous aident
à mourir
méritent un mépris
profond
tous ces bruits
toutes ces enquêtes
ces exégèses des exégèses
que des scribes oisifs et vaniteux
produisent à tout bout de champ
autour des circonstances affreuses et mystérieuses
de l'exécution de l'infortuné Lorca
par les fascistes
car enfin ! chacun sait
depuis longtemps
comment
-surtout dans les années estropiées-
on assassine
les poètes (p. 133)
Kimi Dimoulas [ Née à Athènes en 1931 ]
Incompatibilité
Tous mes poèmes consacrés au printemps
demeurent inachevés.
C'est que le printemps est toujours pressé
et mon inspiration toujours en retard.
Voilà pourquoi je suis obligée
d'achever
presque chaque poème consacré au printemps
pendant la saison d'automne. (p. 107)
Georges Thémélis [Samos 1900- Thessalonique 1976 ]Poète et enseignant
Désert
Les choses meurent autour de nous
Par où tu passes la nuit, tu entends comme un murmure
Qui sort des chemins que tu n'as pas foulés,
Des maisons que tu n'as pas visitées,
Des fenêtres que tu n'as pas ouvertes,
Des ruisseaux sur lesquels tu ne t'es pas penché pour boire,
Des navires sur lesquels tu n'as pas navigué.
Des arbres inconnus meurent autour de nous.
Le vent traverse les forêts ravagées.
Les bêtes meurent de l'anonymat et les oiseaux du silence.
Les corps meurent peu à peu d'abandon.
Avec eux nos vieux vêtements dans les bahuts.
Les mains que nous n'avons pas touchées meurent
de solitude.
Les rêves que nous n'avons pas faits par manque de lumière.
Hors de nous commence le désert de la mort. (p. 280)
Michalis Catsaros Né en 1919, à Kyparissia [ Péloponnèse ]
Mon Testament
(...)Opposez-vous aussi à tous ceux qui se disent
grands
opposez-vous au président du Tribunal
aux musiques tambours et parades
à toutes les assemblées où l'on jacasse
à tous ceux qui écrivent des discours sur leur époque
assis l'hiver près de leur poêle
aux flatteries aux voeux aux compliments
que les bureaucrates et les lâches
dispensent à leur chef
Opposez-vous au Service des étrangers
et des passeports
aux terribles drapeaux des Etats, à la
diplomatie
aux usines qui fabriquent des armes
à ceux qui confondent lyrisme et belles paroles
aux chants de guerre
aux chansons doucereuses aux lamentations
aux spectateurs
au vent
à tous les indifférents et à tous les sages
à ceux qui miment l'amitié
ainsi qu'à moi-même à moi qui vous parle
opposez-vous.
Nous pourrons alors soyez-en sûrs acquérir la
Liberté . (p. 55)
Nicos Engonopoulos [Athènes 1910-1985]
Poète et peintre. Un des représentants les plus éminents du mouvement surréaliste des années 30
Poésie 1948
Le temps de guerre civile
n'est pas fait
pour la poésie
et autres choses du même genre :
dès lors
qu'on
écrit
c'est
comme si
l'on écrivait
sur le dos
d'un faire-part
de décès
voilà pourquoi
mes poèmes
sont si pleins d'amertume
(et quand en étaient-ils exempts ?)
et sont
-surtout-
si
peu
nombreux (p. 130)
Nicéphore Vrettacos [1911-
La lumière
Il y aujourd'hui
tant de lumière
que les aveugles
assis sur les blocs de pierre
l'ont entendue comme un trille d'oiseau.
(p. 322)
Kimi Dimoulas [ Née à Athènes en 1931 ]
Appauvrissement
J'ai à peine un métier.
Plus jeune
je rédigeais surtout des protestations.
Mais je ramassais aussi des situations
usées
que je transformais facilement
en excentricités et emportements.
Travail de routine.
Je prospérais.
Maintenant je me consacre à l'inutile.
Juste de quoi vivre :
je prends sur mes loisirs
pour de petites incursions
et de brefs retours
vers les doux métiers
de ma jeunesse. (p. 106)