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Citation de enkidu_


Les réformateurs du mariage depuis les Lumières insisteront sur trois points : privilégier les sentiments sur l’obligation, en finir avec le tabou de la virginité et faciliter la séparation des époux mal accordés. C’est Balzac qui, obsédé par l’adultère féminin – « ce mot […] qui traîne à sa suite un lugubre cortège, les Larmes, la Honte, la Haine, la Terreur… » et la vision de millions de maris « minotaurisés » (c’est-à-dire cocufiés, dotés de cornes) – plaidera pour la liberté sensuelle des jeunes gens, seule à même de remédier à une foule de maux :

« Rendons à la jeunesse les passions, les coquetteries, l’amour et ses terreurs, l’amour et ses douceurs. A cette saison printanière de la vie, nulle faute n’est irréparable… et l’amour y sera justifié par d’utiles comparaisons. Dans ce changement de nos mœurs périra d’elle-même la honteuse plaie des filles publiques. »

Balzac développe ici un argumentaire qui deviendra classique au XIX e siècle et sera défendu également par Fourier, Stendhal, Hugo : la chasteté obligatoire des jeunes filles génère le double fléau des amours tarifées et des aventures extraconjugales, avec le spectre terrifiant de la bâtardise (dans la Rome antique, seules les femmes enceintes pouvaient se montrer infidèles sans problème, car cela ne remettait pas en cause la lignée, c’est-à-dire la pureté spermatique). Les hommes affamés recourent aux maisons closes, les épouses déçues par le manque d’assiduité des maris s’abandonnent aux galants de passage, tapis en embuscade. Léon Blum, dans un livre qui fit scandale lors de sa parution en 1907, approfondit avec talent la proposition balzacienne : il dépeint côte à côte la vierge

« dans son lit triste, tendant inutilement ses bras au rêve d’amour dont une imagination exaltée exagère encore la violence ou la douceur, et la prostituée dépêchant sur son lit de travail, avec un ennui hâtif sa tâche trop de fois répétée ».

Et comme ces deux misères se conditionnent, la vierge et la prostituée, celle-ci presque toujours une ouvrière, doivent être sauvées ensemble :

« A l’une, il faut faire oublier que l’amour existe, à l’autre qu’il existe dans la vie autre chose que l’amour. »

A la première, on interdit l’entrée dans la vie sexuelle, à l’autre on défend d’en sortir. Et Blum de plaider, d’une plume inspirée, pour le libre vagabondage des jeunes filles, aptes à vivre leurs fantaisies érotiques avec qui bon leur semble avant que « la maturité matrimoniale » ne les dispose à convoler en justes noces.

Les femmes ont un corps et ce corps a besoin d’exulter tout comme celui des hommes : il faudra plus d’un siècle après Balzac pour que les sociétés occidentales, marquées entre-temps par la révolution freudienne, admettent la réalité de l’Eros féminin, contrevenant au préjugé antérieur qui prêchait la pureté par terreur de la lubricité.
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