Patrick Bourdet invité de Mille et une vies
Il a raconté son parcours incroyable dans le livre ''Rien n'est joué d'avance''.
Les choses s'aggravèrent bientôt considérablement, car l'alcool s'invitait souvent à la cabane. Notre vie était rythmée par les beuveries interminables de ses occupants et les violences qui les accompagnaient. Certains soirs, les adultes étaient métamorphosés, habités par la haine et par la seule volonté de se battre et de se faire mal... ...Je me souviens des hurlements, de la terreur et du sang, mais personne n'entendait nos cris du fond des bois, personne n'était là pour nous sauver.
Ma seule véritable richesse est mon histoire. Elle a commencé dans des conditions tragiques, s'est poursuivie dans la barbarie, et puis, lentement, progressivement, les choses se sont améliorées. J'ai connu l'abandon, l'angoisse de l'indigence, la brutalité de parents alcooliques et malades, la désespérance sociale. La misère a nourri mon enfance et mon adolescence. Elle a aussi fait de moi un homme.
C'est plus tard que j'ai compris d'où venait ma boulimie de connaissances : elle constituait pour moi une forme de protection. Plus j'accumulais de savoir, plus je me sentais fort et moins je craignais de retomber dans la précarité. Bien entendu, il s'agissait d'une croyance, mais mon parcours en avait fait une évidence incontestable. J'appris donc beaucoup, sur tout, et me mis à collectionner les formations et les diplômes, imaginant qu'ils me mettaient à l'abri du danger.
Je dois me souvenir de toutes les personnes, de tous les objets, de toutes les passions qui m'ont permis de m'en sortir. Comment aurais-je pu survivre sans Line et Boule ? Comment aurais-je pu progresser sur la piste sans les chênes et les pins ? Comment aurais-je pu avancer sans mes sauveurs, tous ces êtres merveilleux qui m'ont aidé et tant aimé ? Comment aurais-je pu vivre épanoui sans le foot, sans le cinéma, sans retourner à l'école ? Et aujourd'hui, comment vivrais-je sans les miens, que j'aime plus que tout ?
Aujourd'hui, je comprends que mes expériences et mes diverses rencontres, mais aussi ces moments de silence, m'ont façonné. Comme dirait mon amie Annouche, je suis "tricoté d'eux".
Pendant mon enfance, je n'ai jamais reçu ni caresse ni baisers. Je n'ai qu'un seul souvenir de moi assis sur les genoux de la mère. Ce manque de contact charnel devint conscient beaucoup plus tard. Je mesure aujourd'hui à quel point j'avais envie d'être embrassé, étreint, touché ne serait-ce qu'un peu, juste une main douce posée sur mes cheveux.
Et je rejoins Tonny Lasorda, célèbre entraîneur américain de baseball, lorsqu'il affirme: "La différence entre l'impossible et le possible réside dans la détermination des hommes."
Pour beaucoup de gens, le risque se situe à l'extérieur ; pour nous, c'était à la maison, et chacun de nos retours nous ramenait vers lui. Rien ne m'angoissait davantage que de spéculer sur ce que j'allais découvrir en arrivant à la cabane. Certaines fois, je trouvais même plus rassurant d'affronter la nuit et la forêt que de rester à l'intérieur.
J'ai été heureux de partir vivre aux États- Unis en famille. Il y a là-bas une forme d'audace, d'immédiateté dans l'action, créatrice d'évolution, d'opportunités. L'instant présent est fondamental. De ce fait, la relation au risque est tout à fait différente de celle qui existe en France.