La fatigue des nuits de cavales se lit sur mon visage, mais mon ambition de changer le monde, elle, fait rage dans mon être. Elle anime chacun de mes gestes et de mes pensées.
Aliénor, vous voulez jouer. Nous allons jouer.
Je sais maintenant exactement ce que je dois faire. Et la franchise n'est pas au programme.
Dans notre beau royaume, notre commandant en chef est et restera le roi. Bien sûr, après la révolution avortée, Louis XVI a décidé d'ouvrir la Cour et le pouvoir au peuple. Il a instauré les Bels des Débutantes, le rituel de Pan, et il choisit un ministre, celui du tiers état, parmi les citoyens les plus méritants. Et en deux cent cinquante ans, le roi et sa famille n'ont jamais été autant vénérés. Le monde entier nous l'envie. Le venue, ce soir, d'autant de journalistes, me le confirme encore un peu plus.
L'espoir... Il a raison, il n'y a plus que cela qui me fasse avancer en ce moment.
L'espoir de sauver Ella.
L'espoir que Léon arrive à convaincre son père.
L'espoir qu'Aliénor tienne sa promesse.
Et une petite voix me souffle, enveloppant mon cœur d'un sentiment nouveau.
L'espoir de revoir Aliénor.
L'espoir de l'embrasser à nouveau...
Je serre contre moi le journal intime de Jean Boudol, sans qui, grâce à son courage et sa loyauté au roi, nous ne serions pas là aujourd'hui. Je n'ose imaginer si le roi avait perdu la guerre en 1789. Si l'armée impériale n'avait pas réussi à entrer dans Versailles ou pire si elle n'était pas venue. Notre beau et prospère Royaume de France n'existerait certainement plus.
La réalité me frappe alors de plein fouet. Je suis devenue une cible. Moi, la chasseuse, je suis devenue la proie.
Il ne me reste que deux options : tuer ou être tuée. Heureusement, mon abri m’offre un parfait point de vue sur mon opposant. Posté sur les hauteurs, ce dernier est à découvert.
Une fois de plus, je ne réfléchis pas lorsque j’arme mon fusil et que je tire. Juste avant l’impact, nos regards se croisent à travers nos lunettes. Il m’a vue tirer. Il sait qu’il est mort. Et pourtant, à cet instant précis, c’est moi qui perds pied. Je connais le tireur. Trop bien, d’ailleurs… Il s’agit de mon ancien instructeur à l’Académie.
Ma mère m’a souvent conté la manière dont mon père l’a courtisée. Malgré leurs dettes respectives, ils ont reçu l’approbation de chacune de leurs familles. Ils se sont unis par amour. C’est un fait rare en Trégor. Beaucoup cherchent plutôt un bon parti pour alléger leur dette.
Mes parents me répètent sans cesse que j’ai de la chance : je suis la première de ma famille à ne pas avoir de dette arrivée à l’âge de me marier.
Mon rôle en tant que membre de l’Élite de la République du Trégor consiste à éliminer l’un des chefs du camp ennemi : les Lemmings. Les Sages ont décidé de frapper fort, cette fois. Ils veulent rappeler à la République entière qu’ils ne laisseront personnes détruire la stabilité qu’ils ont eu tant de mal à instaurer.
J’aime le bruit que fait la neige lorsqu’elle crisse sous le poids de mes bottes. En habits de camouflage blancs, le fusil dans les mains, je m’approche de ma proie telle une louve aux aguets.
Un jour, mon père m’avait dit que l’on ne peut échapper à ce que l’on est ; jusqu’à aujourd’hui, je ne l’avais pas cru.
Jusqu’à aujourd’hui.