La mémoire est bien étrange. Avant de mourir en captivité et longtemps après que la catastrophe eut connu son tragique dénouement, il pouvait encore se rappeler très distinctement le curieux épisode de l'Hermine.
L'épisode en question eut lieu le troisième jour, un jour d'été torride et étouffant dépourvu d'ombre. Fourbu, irritable, souffrant de diarrhée et de la chaleur pesante, il cherchait un endroit où il pourrait voler un peu de sommeil et de fraîcheur. Quelqu'un ayant entendu sa complainte et vu son état lamentable lui arrangea un abri de fortune contre le soleil. Près d'un petit chariot, on jeta une capote par-dessus des tiges en bois provenant de deux bannières. Reconnaissant, il ôta son manteau et sa veste et quelques autres vêtements furent disposés à terre. Une cape enroulée et un chapeau tinrent lieu d'oreiller.
Il se passa bien des choses cette année là. De mémoire d'homme, on n'avait jamais enduré d'hiver aussi froid et la France connut de nouveau la famine. En Angleterre, un homme du nom de Richard Steele fit paraître le premier numéro de la revue "The Talder" qui allait devenir fort célèbre. En Italie débutèrent l'excavation des vestiges d'Herculanum. au large des côtes du Chili, un navire repêcha Alexandre Selkirk, un marin abandonné sur une île de l'archipel Juan Fernandez où il venait de passer quatre années de solitude; il allait devenir Robinson Crusoë.