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Citation de ThibaultMarconnet


- À la fin de l’hiver, un voyage en bus dans une vallée de montagne ; seuls passagers des enfants, étrangement silencieux, retour de l’école ; ils descendent isolément ou par petits groupes et disparaissent sur la route ou dans les chemins de campagne ; début du crépuscule, giboulées de neige, cascades gelées ; par la portière ouverte, brièvement, le chant alterné de deux oiseaux, dehors, dans le froid, d’une tristesse, d’un effarement incroyables et d’une telle beauté qu’en les entendant il est pris du désir de retenir cette plainte pour toujours et d’écrire de la musique. - Au printemps suivant, au cours d’un voyage en train à travers une vallée mouillée et triste, il voit un enfant marcher avec agilité le long des voies et il peut lui parler en pensée : « Sois loué, enfant inconnu au pas bondissant. » - Et puis un autre trajet en car - encore presque uniquement des enfants, dans le crépuscule, puis c’est l’obscurité -, et cette phrase, presque involontaire : « Peut-on sauver les enfants ? »
Car, au fil du temps, le voyageur crut reconnaître que quelque chose manquait à tous sans exception et qu’ils attendaient tous quelque chose. Les nourrissons qu’il voyait dans les avions, les salles d’attente ou ailleurs n’étaient pas simplement « couinards » ou agités mais leurs cris venaient de très profond. - Des paysages les plus calmes s’élevaient bientôt, en règle générale, les hurlements de détresse d’un être qui, quelque part, appelait les siens. Mais les enfants, c’était visible, avaient aussi besoin des inconnus qui venaient à leur rencontre : les yeux grands ouverts et cillant à peine qui, à mi-hauteur des adultes, percevaient chacun isolément, si grande que pût être la foule, et cherchaient une réponse (et le passant pouvait être sûr qu’à lui aussi ils jetteraient un regard secourable), ces yeux, dans la presse des boulevards, des supermarchés et des métros, étaient chaque fois la seule certitude.
Il en fut sûr alors : les « temps modernes » qu’il avait si souvent maudits et rejetés n’existaient même pas ; la « fin des temps » n’était, elle aussi, que fantasme : avec chaque nouvelle conscience s’ouvraient des possibilités toujours pareilles, et les yeux des enfants dans la foule - regarde-les donc ! - transmettaient l’esprit éternel. Malheur à toi qui manques ce regard.
Un jour, il se trouve au musée devant le tableau légendaire qui représente le massacre des Innocents de Bethléem : un enfant dans la neige lève les bras vers sa mère, le pied replié en arrière, en fichu et en tablier ; le soudard, l’index recourbé, le saisit déjà ; et le spectateur, comme si tout cela arrivait à présent, pense mot pour mot : « Cela n’est pas possible », et pour sa part il en prend la résolution : la tradition sera différente.

(p. 93-95, L’Imaginaire/Gallimard)
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