Citations de Peter Kassovitz (14)
Sur le chemin du retour je conduis doucement, profitant du soleil d'automne qui allume les champs. Retrouver ces images familières et pourtant toujours inattendues, c'est chaque fois une émotion intacte. Émotion qui prouve – soit dit en passant – que j'avais tort de m'inquiéter pour mon « identité ». (Mot galvaudé par nos tabloïds et nos penseurs, comme Vivaldi l'a été par les répondeurs et les supermarchés, mais je n'en ai pas d'autre.)
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Je suis allé à la salle de bains pour voir quelle tête pouvait avoir un homme de cinquante ans qui pleure. Je peux vous dire que ce n'est pas beau à voir. J'ai bu un verre d'eau, j'ai posé sur mon visage le masque de l'homme-qui-souffre-en-silence et je suis retourné au salon.
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Le sexe est notre seul moyen de connaissance. C'est dans le lit que nous apprenons que nous ne sommes pas plus le centre de l'univers que celle qui crie et gémit à côté de nous, que l'autre a ses secrets tout comme nous... Et que nos secrets sont la chose la mieux partagée du monde. De quoi relativiser nos cris et nos angoisses.
Prétendre que je cherche les faveurs de jeunes femmes par pure curiosité philosophique peut paraître pédant. Mais je le maintiens : ce qui érotise une relation, si brève soit-elle, c'est l'illusion qu'on pourra, cette fois, comprendre nos différences et nos similitudes.
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Dans ma tête se déroulent, pour la centième fois, les mêmes spirales : pour être heureux, il faudrait les séduire toutes. Pour les séduire toutes, il faudrait être heureux. Le serpent qui se mord la queue... La seule vraie solution serait de te la couper, cette queue.
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(Apprenant que je partais pour Budapest, Madral m'a fait un cours sur les Hongroises, les « fouetteuses" de nos bordels d'antan. J'imagine que mon interlocutrice aurait pu se faire beaucoup d'argent.)
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Prenez mon propre agenda qui traîne là, sur le bureau. Toutes ces personnes alignées sur les pages du répertoire, c'est moi. Je suis leur dénominateur commun. Même ces imbéciles de « Cottet, Gibert et Jocelyne 23, avenue du Bois de Boulogne » font partie de ma personne – en tous cas de mon personnage. Même les restaurants que je note à « R », ou ce vieux fou de Madral qui change de numéro tous les deux mois... Et cet « Andrieux (Conseil Inf.) » dont je ne sais même plus de quoi il a l'air.
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Pourtant, moi aussi j'aurais besoin d'encouragements. Je traîne mon spleen entre le travail et la maison, je dors des week-ends entiers et je me nourris de Nutella comme une pucelle amoureuse. Pas besoin d'avoir suivi des cours de psychologie pour reconnaître les symptômes de la dépression.
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En lisant Philip Roth, cette phrase m'a sauté à la gueule : " J'avais fait le choix de vivre en un lieu où l'on ne pouvait plus m'acculer aux inévitables déconvenues."
Elle fait semblant de dormir, mais laisse traîner ses fesses royales près de ma jambe. Son calcul se révèle exact. Mon sexe répond (merci Pavlov) à cette invitation muette et je sens déjà que je vais rendre les armes sans gloire. Quel pouvoir elles ont !
Non. Trop facile. On a sa fierté, même en pyjama. Cherchons un dérivatif, dirigeons nos pensées vers des sujets plus austères, résistons à la dictature de la biologie. Tiens, l'enterrement par exemple. Les funérailles de mon père me protègeront des pouvoirs de cette sorcière...
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"Tiens, propose-t-il, je vais te raconter une histoire qui circulait là-bas : deux squelettes discutent sur leur grabat en s'épouillant. -Ils vont nous transformer bientôt en savon, dit le premier. -Toi, tu seras un savon de Marseille, répond l'autre, mais moi, je serai un savon parfumé pour la toilette intime des dames ! "
Riant tout seul de sa bonne blague, il se dirige vers les bassins d'eau artésienne, mais Félix ne lâche pas :
"comment tu fais pour rigoler avec ça ?
-La meilleure chose que les exterminations ont laissée aux juifs, c'est l'humour, disait Gary. Parfois, on est obligé de rire pour ne pas pleurer."
En me débattant dans les remous j'aperçois Laszlo qui arrive à la rescousse et l’obèse qui se débine honteusement, sans le souci de ruiner sa réputation de brute. En homme pratique, Laszlo laisse filer, il a d’autres urgences. Il ramasse une grosse branche et me fait signe d'approcher. J'essaye de remonter le courant, mais il est trop puissant. Je fais du surplace. Laszlo lance alors la branche, en guise de bouée de sauvetage, et manque de m’achever. Je coule en me disant que si mon père m'avait donné des leçons de natation au moment où ça se pratique dans les bonnes familles, je n'en serais pas là. Coïncidence, ou mauvaise blague, j’aperçois alors le responsable, plus exactement son urne, qui passe à proximité glissant majestueusement sur les flots.
J’adopte de mon côté la stratégie de so what factuel, dénué d’affect, peut-être pour ne pas pleurer.
« Pour ton information, “papa” est arrivé de Chine ce matin par Fedex. »
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Profitant que je lui tourne le dos, l'obèse charge et je subis une poussée de plusieurs tonnes qui me propulse dans les airs. Décrivant une élégante courbe, je trouve le temps (un centième de seconde suffit) de noter que Konrad s’est écarté pour ne pas subir le sort de ses coreligionnaires d’antan. Pourtant nous sommes en été, la température de l'eau est plutôt agréable, je peux en témoigner. En revanche, le goût… on repassera. Mais ce n’est pas le moment de faire la fine bouche. J’avale une bonne gorgée du beau Danube bleu, essayant de récapituler les diverses méthodes de survie que m’apprit ma mère. Malheureusement, la mémoire me fait défaut et je ne fais qu'agiter les bras et les jambes sans méthode, avec cependant une certaine efficacité car j'arrive à remonter à la surface, où m'attend l’obèse son arme toujours brandie pour bien me faire comprendre qu'il n'hésitera pas à l'utiliser au cas où j’aurais la velléité de grimper sur les quais.
Elle caresse mes cheveux d’un geste maternel et ce geste simple finit par rompre les derniers barrages. J’ai pleuré, secoué de spasmes, dans les bras de cette inconnue.