Citations de Philippe Delaveau (84)
BABYLONE
Est-il des saints dans
Babylone, et l'eau irriguant les terrasses
Ruisselle-t-elle d'une source pure?
Qui prévaut ici-bas
Dans la lourde démarche des habitants de l'ombre, au pied
des fortifications?
Les mendiants affamés de l'invisible quittent la zone
Qui borde les maisons laides.
Babylone, ville sans désir.
Les saints dans la torpeur s'éloignent en gémissant :
Nous t'aimions, pays injuste, terre de convoitise, cité bénie
Par le soleil qui paye aux briques son tribut.
L'étoile
Abusive n'ose plus effleurer les citernes.
Le cheval peine
Sous le harnais, flétrissant de la jambe
L'ombre des pauvres sur le mur des jardins.
Babylone, ville
savante.
Nous mesurons de nos dociles instruments
Le cours des astres sur le registre de la nuit.
Ville de vieux
Hommes, ville sans passion.
Regarde au carrefour les frises
De héros qui se faufilent dans la gloire.
Entends le démocrate
User de son mensonge et la fille appeler de sa voix susurrante, À la tombée du soir, le promeneur recru de solitude.
Les guerriers sales s'en reviennent, glissent le long des murs
Bardés d'obscènes inscriptions.
Nul n'attend rien, ni demain,
Ni jamais.
Babylone, le temps continue de battre sur la grève,
Avec le cœur du soir dans l'arbre rose, et le moineau.
La mort desséchera l'enfant chétif et nu, l'homme vieux,
La carcasse du cheval mon veillé par le buisson de mouches,
Sous le regard du saint qui pleure.
La glace du désert
Pénètre dans les cœurs et les jardins abstraits.
AUTOMNE
L'automne jette aux balcons de la ville
Les douceurs tristes des campagnes.
Nous ne les verrons plus avant l'hiver; les hirondelles
Sont parties; le feu noie les éteules de brouillards;
L'arbre déploie dans le ciel blanc sa pourpre.
Tu n'es rien
Pour eux, un voyageur à peine, le solitaire dont la main
Flatte l'échiné du cheval qui trépigne et le flanc du bouleau.
Les orties croissent en bordure des pelouses.
En bas du raidillon, les brebis continuent de lever
Au moindre bruit leurs yeux trop doux, craignant
Le boucher aux mains nues, quand le soir tombe,
Rougissant les confins des vallées.
Alors
Les haies s'emplissent de bruits nocturnes dans le bocage;
Les musaraignes ont quitté les champs; le loir
Du grenier heurte aux murs sa tête aux dents luisantes.
La sève s'en retourne à la terre endormir les ardeurs
De l'été; le mica de l'insecte est déposé dans la caverne
Molle de l'hiver, puisque descend — et toi-même
Y peux-tu quelque chose? - la mort
Que nous voulions traquer parmi les ronces,
Habitante des flaques d'argile où l'eau se désapprend À chérir le rapide visage des promeneurs,
Accoutumée depuis toujours à se glisser parmi les arbres,
Pour rejoindre dans les nues d'éphémères gisants,
Lorsque l'hiver chasse les bancs d'oiseaux des plages,
Et que l'aube verse des larmes sur les dernières roses.
II
Dans le journal qui parle de décombres,
Il jettera les épluchures des légumes,
La chevelure terreuse de la pomme à cuire.
Il me reste l'amour, dit la chanson, il me reste
Le bel amour.
Les faits divers
Tordent leur encre autour des blancs du papier sale,
Tandis qu'armé du croc de
Vulcain,
L'homme dont l'ombre croît sur les murs incertains,
Irrite le vieux poêle qui tousse et craque.
Dehors
Les troupeaux de l'hiver immuable défilent sans bruit.
Ciel de
Bohême, ciel vagabond.
Ici, du monde vaste,
Nous retiendrons le nom de paix.
Un feu de bois, le soir, nous servait de repère,
Et la tasse de lait, mise à tiédir,
Il la buvait si lentement
Sous la pendule aux aiguilles agiles,
Qu'un peu de temps s'estompait pour l'attendre.
ART POÉTIQUE
Et tu disais, mais savions-nous comprendre? le poète
Est celui, dans la liesse, qui jonche de rameaux,
La terre où s'avance l'ânon du
Seigneur;
Jérusalem
Tremble dans la lumière, délivrée de la pesanteur
Accablante du mal.
Nous avions pressenti
Sa céleste beauté; son diadème sanglant
Scintille étrangement au-dessus des villes.
Le poème
Étend la charité de ses syllabes, la douceur
De sa musique sur l'asphalte où passe le roi glorieux
Des futures douleurs.
Un feu dans le jardin fermé, lentement rêve.
L'arbre avare contemple son trésor inutile.
Automne campe à la fenêtre.
Ses brouillards
Ont revêtu les toits de ce silence triste
Qui fait jaillir la lampe à la proue des rideaux.
Mais où en est la nuit? dit le veilleur,
Et le rideau retombe sur la vitre éclairée.
La richesse, à quoi bon? songe tout bas la branche,
Et l'or s'écroule doucement sur les pelouses.
Là-bas, ce banc sur lequel vous aimiez vous asseoir
Est demeuré désert; et l'ombre descendue
Refoule jusqu'aux rues bruyantes les souvenirs
Qui dorent leur image sur nos branches.
Quelle est cette richesse?
Alors, le patriarche
A mis sur son épaule pour partir une besace :
Il faut gagner la nuit généreuse qui passe
Au-dessus des fumées et des visibles ciels,
Et reconnaître enfin parmi les plus lointaines
Des étoiles, celle où le souvenir
S'affine à la clarté de la lampe espérance,
Que le vent porte à l'aube et les chants à nos lèvres.
Le bleu -
Lorsqu'on renverse la tête sur le sable, et que le jour décroît,
Soudain les yeux s'entrouvrent : c'est le bleu
Du ciel immense, l'espace transparent du ciel bleu, pays
De la lumière vive au-dessus de la joie de l'arbre,
Et le héron prudent pose une patte circonspecte, risque l'autre
Sur le mercure miroitant; la flaque réfléchit l'impavide, l'immense,
L'absolu bleu.
Nous oublions
Les luttes d'un cœur épris d'amour et les distances.
Le bleu
Traverse l'air impalpable, visite la branche immobile qui le salue,
Se laisse étreindre par les yeux qui le pénètrent.
Dans le vitrail éclate la fanfare du jour,
La rosace infusant le doux acquiescement de la lumière.
Même un nuage infime et haut fait concevoir
Les éloignements sans fin de la distance où glisse
Au pli de la tenture une aiguille suivie
D'un fil qui s'effiloche.
Une invisible main
Tente de coudre à l'aube enfuie le crépuscule,
Puisque emporté par son poids, le soleil
Déchire la mandorle où le temps le suspend,
Et que le bleu pâlit à l'horizon.
La mer
Répand sur ses genoux qui tremblent,
Le vaste drap où flambent ses ciseaux,
Berçant infiniment nos cœurs qui se désolent
D'être mortels encore sous l'azur éphémère.
La route -
Ce sera la route encore, non pas
La rue corsetée d'enseignes lumineuses, ni l'ancienne
Voie bordée d'abreuvoirs où tu guettes parfois
Le pas si mesuré du cheval, compagnon de toujours
Qui caracole tête nue, mesurant notre audace
A la fermeté de nos mains — hennissements, envols
De fougueuses crinières dans le poudroiement d'aube :
Nous ne le verrons plus; toute ville
Élève des murs arides.
Une autre route sans bâtiments à la lisière,
Sans vignes régulières, sans la splendeur des sabres du maïs,
Exacerbés dans la lumière que multiplie l'étain du fleuve
Ou l'ouvrage songeur de l'étang.
Et même la perchée
Des oiseaux d'ocre à la cime sauvage, ne te secourra plus.
Lorsque le crépuscule vieillira.
Tu te souviens des cris
Que racontaient sur les premières pages, l'enfance
Aux cheveux emmêlés; les sables que la pluie cherchait
À graver; les grandes fables parmi les arbres,
D'un soleil rond et rouge, avec son heaume et la lance du
peuplier.
Et tu chemines sur la route désolée, parmi les cendres;
Le paysage est mort, et les neiges nocturnes
Succèdent lentement aux granges de l'automne.
Le jardin -
Redescends du vieux pommier qui t'a connu
Quand tu lui demandais de te conduire sur sa monture
Jusqu'à ses frères du verger, sur l'autre rive.
Laisse l'échelle près de l'œil des lucarnes
Qui rêvent sur le flanc crépi de la maison des vignes.
Tu demeurais longtemps parmi les livres roux d'images,
Les cartons à chapeaux hantés d'abeilles mortes.
Mon amie, je t'écris de
Brazzaville, je ne sais
Quand cette lettre arrivera.
Je la confie au missionnaire
Qui rentre pour soigner son cœur malade.
Que
Dieu
Te bénisse...
Réponds-moi, parle très longuement
De notre terre aimée, des fleurs que l'on arrose
À la tombée du jour.
Le ciel est-il, là-bas, couleur de vieux pastel
Et rose, au-dessus de la
Vienne, au crépuscule?
Tu aimais les romans, les livres inutiles, allongé
Sur le parquet blanchi par la poussière, tandis qu'entre les
poutres,
Les araignées filaient de minuscules cartulaires,
Espérant de saisir une étoile tombée.
Une abeille chargée du butin des bigognes
Heurtait dans la fournaise du grenier
Les vitres sales; tu l'aidais à s'enfuir,
Vers le jardin, plus bas, tes délices, le soir,
Lorsque les arrosoirs sur la terre extasiée
Jetaient leurs arabesques.
Le temps s'enfuit, le temps
Est mort comme les feuilles des terrasses.
Ainsi de l'été qui s'étire, le crépuscule
Atteste encore, comme au-dessus de
Troie dévastée,
Hantée de ronces, l'intangible bonheur
Que le songe rappelle, mais en vain.
Redescends, puisque des mains hostiles
Ont arraché la vigne sanglante d'automne,
Tronçonné les tilleuls sur les allées.
Et le cheval à l'horizon lève sa tête immuable
Au-dessous des vaisseaux qui tanguent sur la mer
Viens rejoindre la terre d'en bas, les trottoirs brunis par la
pluie,
La ville qui déploie l'emblème des rues, allonge un peu
Le bras, voici la gloire mais si proche.
Il suffit d'un désir
Et tu seras le maître.
Il s'éloigne sur la route qui brûle
De tous les crépuscules vainement assemblés.
Dimanche, cependant,
Remonte ruisselant des eaux, chaque semaine, sable engendré
De la rivière qui dresse l'or au milieu de l'herbage
D'une lettre sacrée, delta dont le sommet
Contemple l'abîme invisible.
Enée chemine, se souvient
Du jardin d'ombre, chaque soir.
La nuit
Verse le tombereau, l'oubli s'accroît sur le rivage.
Le vieillard ouvre ses mains si vaines, mais dimanche
S'en revient, que les merles saluent dans la clameur des cerisiers;
Le sable ruisselle, et tes journées s'achèvent, tu l'ignores.
Parfois, dans les recoins du ciel qui tremble
L'imperceptible étoile se découvre; tu ne fus jamais seul,
Le savais-tu?
La neige tombe sur les quais où oscillent
De vieux navires.
La rivière a gagné l'embouchure et se meurt
Dans la gloire des sables, mêlée de sources grises.
Lorsque tu parles du jardin, personne à la fenêtre close
Ne se rappelle ton passage.
Il n'y a plus de lampe sur la table.
Et les très douces mains ne se poseront plus, Énée,
Sur ton visage.
Nous ne reviendrons plus nous promener dans le jardin
Détruit.
Où êtes-vous, voix familières
De la saison têtue, arômes colportés par le vent?
Et nous marchions encore, espérant de fléchir
Le silence que veille
Aldébaran, la ténèbre
Que la nacelle de la nuit creuse d'un souffle.
Une constante vie, mais ce désir aussi qui n'est pas le désir.
Nous avons répondu à l'appel, fondé des empires fragiles
Dont les syllabes en suspens chancellent sur l'ocre de l'été;
L'appel encore a retenti, tout proche, dans les forêts obscures
Comme la plainte d'une biche près des étangs déserts.
II
Le guetteur descend du pommier solitaire.
Toute la nuit, il a lancé la ligne infructueuse,
Troublant l'aquarelle du jour et le pinceau des feuilles,
dans
L'aube frémit; la nuit s'éloigne au pas de ses chevaux,
Abandonnant quelques étoiles dans l'herbe dure.
Quelle aurore s'agite parmi les branches?
Le vigneron
Sitôt levé taille déjà le cep.
La musique tressaille
Dans la splendeur du hêtre rouge qui compte l'aune
Pour disposer déjà la nappe blanche.
Le soir
Le jardin fraîchira.
La lune observera
Semblable et muette, sa sœur obscure
Dans l'oeil du puits où goutte l'heure sainte.
Les crépuscules uniront leurs nacres et leurs feuilles,
Les temps auront mûri comme les fruits de l'arbre.
II
Lorsque la nuit voile son front d'érèbe.
Le guetteur se précipite en criant d'allégresse,
De l'arbre traversé d'aurore.
Et le jour
Hérisse de son feu les toitures nocturnes, le
Jour,
Lorsque la mort sera défaite et le jardin ouvert.
Alors peut-être souviens-toi des vergers que la nuit
Voulut même abolir pendant les temps d'orage;
Ils tremblent quand le vent se déguise en rivière,
Dans le consentement des branches qui n'ont rien refusé,
Pour que les fleurs se pâment sur son passage
Et que soit proféré le nom par quoi l'aube commence.
Les immobiles -
Les immobiles se terrent, le dos
Contre la façade lépreuse des immeubles; l'aube
Ne descendra plus sur la ville hostile.
Un crépuscule
Ensanglante le crachat des yeux coagulés; le froid
Règne sur les pavés raboteux, fait battre les vantaux
De l'écurie déserte.
Le froid, la boue, l'eau plus inerte
Que ces yeux morts.
Les mots retombent
Sur les visages détruits, l'œuvre insolite, les monstres
Qui trônent sur les cimaises.
L'ombre accroît sous le pont
Son haleine verdie.
Je s'éloigne de soi, plus rien
Ne se pourra connaître, la même bile
Se répand sur les goudrons de la mer obscure
Et même le poème ne sait plus concevoir.
Mythe -
D'où viens-tu? ces cris de bête dans l'air crépusculaire
Sont improbables comme l'eau qui s'étire sous l'haleine du
ciel.
La nuit efface le savoir d'un jour de doute et d'avancées,
Nous saurons mieux à la fenêtre du soir,
Qui nous sommes peut-être, venus de l'incendie, disais-tu le
matin,
Croyant l'heure clémente; les forces de ton corps intactes
Pour la route (mais quelle joie?).
La journée s'éloigne
Sur la poussière, comme ces chars
Qui titubent au loin, chargés de paille fraîche, sur l'autre rive,
Avec les barques amarrées à des chaînes de rouille; et la maison
Dont la cheminée sur le sable du ciel écrit les lettres du
bonheur,
On ne l'atteint jamais : la route verse
Entre les joncs et les sureaux, et la nuit qui s'approche
Est travaillée du hurlement des navires qui partent,
Sur cette eau noire où les étoiles s'agenouillent.
À cette époque vainement courait,
Pourfendeur des nues,
Orphée;
Les mots se bousculaient sur la lyre.
Il vit : la table au creux de la vallée
Succombe sous le butin de la vendange.
Ciels rouges, vieillissement des pommes,
Je me souviens.
Toujours est lente la moisson
Après que le solitaire a lancé
Sur le poème de la terre, la semence.
Il se fait tard.
Par la fenêtre
Ouverte, le soleil s'épuise au-dessus des toitures.
Et la nuit s'en revient, déserte, sur la pluie
Des toits.
Seul toujours avec l'ange
Éployé, tel jette aux vitres écarlates,
Au soir qui tombe sur les bronzes,
Cet incendie de pages inutiles.
Écrire est vain peut-être.
Dans les enfers de
Gloucester
Road,
L'écumant dieu des souterrains
Fulmine en gerbes d'étincelles.
Il fallait plus de science et moins de zèle,
Savoir étreindre le poème avec les mots
Chargés de vie, non de fureur.
Le soleil montre un océan de plaines bleues.
Toute sagesse
Est lente à se mouvoir, ainsi les belles promeneuses
Posent tranquillement l'une après l'autre
Leurs chevilles dorées sur les pentes de la montagne.
Le temple de bois blanc dans l'air léger,
La nuit soyeuse où s'envole un corbeau.
Subsistent : les mots incertains
Se sont tus.
Nous gravitons dans un souffle
Éphémère.
Qui se souvient d'Antigone recluse?
Bérénice après que le navire eut disparu versa
Des larmes silencieuses.
Du papier blanc couvert
De mots menus s'élève une flamme.
L'hiver
Etend sur le square ses brumes vaines.
Loin,
Eurydice toujours au cœur des indistinctes nuits
S'enfonce comme au fond de l'eau lente des songes,
La pierre.
Peut-être verrons-nous, entre les oliviers,
L'ombre furtive d'Antigone.
Derrière la fontaine asséchée, l'abreuvoir
Est martelé par les jambes serviles des chevaux; elle se tait,
Silencieuse et grave dans sa robe noire.
La ville couvre la terre vierge, les vignes
De murs en ciment gris, inachevés parfois;
S'empare de vieilles rues ténébreuses; là-bas, assiège
Le marbre lacéré des ruines, les acropoles qui tremblent
Du silence des dieux.
Mais les mythes survivent
Parmi les herbes folles des places
Désertées; dans la mémoire obscure des foules, les livres.
Nous l'avons condamnée, mais nous l'aimions.
Voici
Sa sœur aux cheveux courts qui nous tient tête, d'autres encore,
Mais nous avions pour nous la loi dure, la pierre obstinée des
coutumes.
Ils se glissent avec l'oeil féroce des chats, à la tombée
De la désespérance, dans l'enclos du soir.
Sans fin
S'exile le déchu quand l'aube lève sa toile;
Ils se promènent au milieu de nous en quête d'ombre
Où faire encore avec la douleur neuve et nue
Dans le bois sacré des solitudes, résonner
Les chants de leur outrance implacable.
Kant -
Kant sortait chaque jour pour faire sa promenade
À la même heure, guetté par les chats et les femmes;
Moqué pour son flegme sans fantaisie, majestueux pourtant,
Vêtu d'une identique et brune redingote;
Éprouvant pour le ciel qu'ont aimé les rêveurs — les poètes
parfois
Sont de ceux-là -, une sorte de haine :
Et pour la pluie qui dessine des fleuves tumultueux,
Comme un ressentiment de vieux garçon craignant
De prendre froid.
Dans l'odeur du tabac, blonde,
Qui spire sa volute, accumule ses lobes, longe le faîte
Poussiéreux des murs, son esprit lentement se dilate
Aux dimensions du monde bordé de verre
Déformant, toutes fenêtres closes sur la rue,
Chassant du plafond bas, du ciel poreux et jaune vers quoi
reniflent
Les chandelles, cela même que l'esprit désormais
N'atteindra plus en proclamant ses droits, et qui hante partout
Même la rude écorce des platanes, le bois lisse, un galet;
Même la pluie et les catégories obtuses,
Où se dépose à travers les vitraux de verre, le monde,
Perdus la nuit et le toucher des doigts.
Crépuscule -
Et c'est comme la flèche d'une église dans l'or
Des nuages, soudain, comme la flèche rose et triomphante
Dans le soir.
La ville meurt, accompagnée de refrains lancinants;
Des jours fades colorent les boutiques.
Là-bas, presque invisible
Dans les velours du soir, touchant de sa baguette l'orchestre
Des feuillages, la mélodie épelle une splendeur que nul n'écoute
Entre l'ébène des toitures et la rouille.
Mais la branche
De l'arbre à peine oscille; le désert amplifie son bruit
D'automobiles, de moteurs, de chaussées qu'on lacère, de cris À peine audibles près du sanglot des fontaines.
Alors,
Vois la flèche gravir la pente des monts ignorés,
Les mains se tendre dans l'arche du soir
Car le parfum sur la tête qu'on a couronnée
Embaume pour le peuple assemblé depuis l'aurore.
La musique -
La musique toujours nous parle de notre vraie patrie.
Sitôt que son chant s'élève, nous appelle,
Comme le vent du soir dans l'arbre aux feuilles douces,
Nous voguons dans les embrasements d'une mer infinie.
Est-ce la vague avec les rimes de la houle,
L'opulente clarté de la fugue de sèves :
Le soleil brame sur les délices du lac transparent,
Et nous nous connaissons comme l'eau qui s'écoule.
Le monde est vertical : tel est l'amour de l'arbre
Où le renard du vent se faufile et s'empourpre,
Et la nuit plus terrible, née pour un seul amour.
Nous te reconnaissons pays sans visage, terre
Où nous avons grandi sous le chêne immortel; ciel semé de grandeurs,
Puisque nous sommes l'infini qui se dilate et sa muette raison;
Nous te reconnaissons pour avoir oublié
Ton ciel sublime et le nom de cristal
Qui nous fut donné dans l'orchestre céleste.
Libres toujours, et marchant dans les forêts
Obscures, nous dérivons comme la feuille prise au ruisseau
De la branche, l'œil incomplet, le cœur inachevé,
Mais balbutiant le seul langage de l'azur,
Tous désespoirs réduits et toute mort traversée.
Les transparents -
Ils sont debout à l'avancée de la lumière,
Transparents et bleutés.
Parfois la brise
Les soulève au-dessus de la tourmente qui saisit l'arbre,
Près de la plaine où bataille l'armée.
La torche du soleil consume la lavande et le désir
De gloire.
Dans l'ombre qui s'allonge,
La confiance grandit.
Des yeux, dans le silence,
Les considèrent depuis le tronc de l'arbre, la voix
Trop suave retentit, mais ils n'écoutent pas.
La clarté odorante des roses
Cache la guêpe; le sourire innocent dissimule
Une pensée coupable afin qu'ils sombrent bas, profondément,
Où l'autre se démène, cherchant qui déchirer.
Mais ils demeurent sur le sentier où leurs épaules ploient,
Sous la charge invisible qu'ils transportent,
Et la lumière transfigure leurs yeux,
Pour que la paix fragile y soit plus assurée.
Fra angelico -
Les morts ressusciteront dans les champs de lavande, vigoureux
Comme le vin nouveau dans la tonne de chêne; danseront,
Criant de joie dans l'éternel été.
Les crépuscules, l'aube
Seront pour les étoiles de l'allée, une charmille.
La joie
Sera le nom des fleurs et l'odeur de la nuit, une lumière.
Comment saurai-je l'innocence des jours renouvelés, dit
Près du bleu de la croix, si sombre, l'angélique frère.
Et d'amples paysages se dessillent au lointain; des tombes
Entrouvertes, les morts se dressent, en tunique d'azur - comment
Saurai-je peindre l'insoupçonnable et l'inconnu ?
Ferme tes yeux
D'abord, laisse ta barque transparente, sur le sillage
Prendre le rythme et geindre, avant de t'élancer
Dans la clarté de l'aube verte et sache ta science
S'humilier devant l'ombre propice.
Il vient, mais l'entends-tu
Glissant parmi les portes immortelles?
Que ton art soit habile pour le dire,
Et le mur frais, les teintes justes assemblées dans le concile
Des couleurs.
Et l'on murmure alors le récit des splendeurs,
Que l'Ange embouchera la trompette d'argent; que des flancs
Du navire descendent, pour des embrassements sans fin,
Les rois mendiants et les célestes pauvres.
Poème
I
Il a posé un doigt sur ses lèvres :
Il faut se taire.
Au-dehors
Les arbres continuent de trembler dans la brise
Et l'oiseau sur le mur blanc, par la fenêtre
De lumière, ouvre un œil sage
Couleur de raisin noir.
De l'autre main
Il tient l'écritoire et la plume; la nuit
Chaude descend sur ses épaules; derrière,
Le mur est comme l'âme dépouillée, terne et nue.
Alors seulement commence la lumière.
II
À peine le bruit d'un silence ténu
Fait-il trembler l'ombre des feuillages.
Ni l'orage grondant au-dessus de la grève,
Ni le ronronnement des automobiles dans l'avenue,
Ni le sifflement des lourds avions d'argent,
Moins que la brise parmi les feuilles.
Heureux dans l'obscure ténèbre, celui
Qui écoute et se prosterne.
III
Peut-être alors entendrons-nous
Sur le mur blanc qui ferme l'horizon
Lorsque la nuit ouvre ses poings de feu,
Germer les graines saintes du silence
Et poindre l'aube.
IV
Les poèmes vieillissent confusément,
Parlant encore de forêts, d'or et de roses; toutefois,
Quel sage aurait pu dans une seule fable,
Serpentant au-dessus des hommes et des fleurs,
Dire comme la perle un peu l'attente
Qui est au creux du monde, et peut-être à la fin composer
Pour un prince las du soleil et des livres,
Un autre chant qui ne vieillirait pas,
Qui parlerait sans fin de ce qui recommence, au gré
Des libellules bleues, des armoiries de l'onde?
Alors l'image en ce poème serait plus limpide
Que le bruit continu de l'eau, plus sombre qu'un silence
Au pied mauve de l'arbre, à celui
Qui écoute la nuit parfaire les saisons,
En quête de sagesse nébuleuse et d'ordonnance.
V
Voici la plus belle heure, les arbres
Sont roses dans le jour qui se lève.
Les parfums n'ont encore épuisé leurs timides
Secrets, dans le lacis des herbes, parmi les fleurs.
Alors le soleil blanc et rond quitte son écurie,
Perdue dans la douceur du ciel au-dessus de la crête
Des arbres centenaires; le lourd charroi qu'il tire
De la chaleur d'été d'où tombe le foin rouge,
S'engage sur l'ornière de la
Loire jusqu'au soir des collines,
Que des merles, des hirondelles, veillent de leurs cris.
Forêts et sombres eaux du Cher,
Où le ciel transparent laisse pressentir
Le secret que les eaux entortillent dans l'ombre,
Peupliers inquiets, chênes vétustes, saules échevelés ,
Hissez du haut de vos mâtures l'astre qui roule
Sur la pente du ciel jusqu'aux mers.
Les monts bleus
Les monts bleus et le ciel songeur.
Toi
Dont les yeux ardents sont
L'abri du ciel et des monts.
Source, frisson, tristesse, joie.
Je baiserai de ma langueur
Ta bouche.
Je vois les mots se former
Dans tes pupilles, sur tes lèvres.
Et je respire ton haleine.
Je me raccroche à la vie,
Je sais l'existence du monde
Lorsque je tiens ta main.
(" Le veilleur amoureux")
Qu'ai-je fait des heures d'été?
La nuit grandit sur les jardins, parmi les livres.
Le vent du soir est solennel.
La vie précieuse nous traverse.
Ce jour semblable aux autres jours.
Imperceptible sous les arbres.
Complicité
Le ciel s'est appuyé
De tout son poids de Juillet bleu
Sur les fragiles reins du toit
Pour voir ce que tu lis
Par-dessus ton épaule
Ô fruits ensoleillés des premières paroles
Pour nourrir en chemin nos bouches qui se cherchent.
Nos mains mêlées et nos coeurs assourdis,
Même pensée en même temps-et la lumière
Mais d'où venue cette lumière?
Pour nous creuser et nous étreindre .