En quelques minutes, il se trouva devant l'appartement du docteur Klein. Il monta précautionneusement les trois étages et sonna à la porte. Personne ne venait ouvrir. Ça contrariait beaucoup Armand Desprez qui ne pouvait pas être trop insistant de peur de réveiller les voisins. Quand d'un coup, il sentit un étrange soulagement. Comment n'y avait-il pas pensé ? Un médecin, ça a des connaissances. Le docteur Klein avait dû être prévenu. Il n'avait pas besoin d'Armand Desprez, le docteur Klein. Il était peut-être déjà loin. Ça ne résolvait pas son problème à lui, mais ça calmait sa conscience de savoir qu'au moins le docteur Klein et sa famille échapperait à la rafle. Il n'avait plus qu'à rentrer chez lui. Tout le chemin du retour, il se raisonna, se persuadant qu'il n'y serait pour rien, qu'il n'avait pas pu faire autrement. Il serait dans peu de temps, fidèle à son poste, et à contrecoeur il participerait à cette saloperie. Il savait bien que c'était une saloperie, à laquelle il ne serait pas tout à fait complice puisqu'une famille au moins y échapperait. Pas tout à fait grâce à lui. Mais tout de même, il s'était bien rendu nuitamment au domicile du docteur Klein pour l'avertir, lui pour ainsi dire donner l'ordre de déguerpir au plus vite. Il finissait par en oublier qu'il n'avait agi que dans son propre intérêt. Simplement pour garder la conscience propre. Il prit son café, comme d'habitude, avec sa femme qui l'avait rejoint et à qui il dit simplement qu'il avait passé une mauvaise nuit.
Maintenant, il était à son poste dans la rue du docteur Klein avec sa liste de familles à embarquer. Au carrefour stationnaient les autobus qui devaient les emmener au Vélodrome d'Hiver. Après tout, se disait-il, il n'était pas seul à participer à cette saloperie. Les chauffeurs de bus aussi s'étaient présentés à leur poste de travail.
C'était alors qu'il sortait d'un immeuble où trois familles avaient été arrêtées, qu'il vît sur le trottoir le docteur Klein et sa famille : sa femme, ses deux filles et son garçon. Ils montaient dans un autobus qui allait les emmener au Vélodrome d'Hiver. Armand Desprez croit bien que le docteur Klein le fixa du regard. Il ne pouvait en être sûr parce qu'il avait détourné le sien.