Acclimaté par les maîtres d'Orient ou par les maîtres d'Italie, le grec a pénétré dans chaque province, on peut dire dans chaque l'université et chaque cour. Et ce n'est pas une des moindres surprises de cette époque si fertile en surprises que de voir Rome, citadelle de la culture latine, ouvrir toute grande sa bibliothèque vaticane aux beautés dangereuses d'une pensée profane ou schismatique. Car c'est bien la Grèce entière, classée, étiquetée, mise à la portée de chacun dans un latin clair et dans des manuscrits splendides que le pape humaniste Nicolas V rêve d'aligner dans son palais. Impatient, nerveux, hideux, distribuant l'ouvrage, répartissant les journées, il met en quelque sorte la Grèce en coupe de traduction réglée.
Cent ans ont suffi pour donner une autre direction à la pensée, un autre cours à l'histoire, une autre face à l'humanité, qui s'est agrandie d'un ancien monde, l'antiquité, qui s'est enrichie d'un nouveau monde, l'Amérique, et qui s'oriente vers une voie qu'elle fraie et que la Réforme et la Révolution ne feront, en dernière analyse, que creuser et accomplir. Le Quattrocento, placé à un tournant d'histoire, est donc, par excellence, un siècle de passage, riche en contrastes et en contradictions, fertile en anachronismes et en antinomies, semé de détritus et de germes, de ruines et d'ébauches, de traditions et de pressentiments qui se repoussent, se détruisent ou se mélangent dans un travail incessant.
« Ceux qui n'ont pas connu les dix années d'avant la Révolution n'ont pas connu le bonheur de vivre », assurait Talleyrand. A Venise, qui est le pays de la vie légère, et comme l'Italie de l'Italie, il semble que ce bonheur de vivre ait été plus heureux qu'autre part.