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Citation de jcfvc


Si lourdes les montagnes et si perdues d'aspect, entrelaçant les friches et les bois, si petit, si indistinct le bout de village enfantin qu'on dirait une illusion. On est dans le loin. On aura beau avancer se dit-on, on n'ira pas au-delà. Le village là-bas, quelque effort qu'on fasse, on se demande si on l'atteindra jamais. Quel chemin prendre, d'ailleurs, pour franchir tant de vide ? Par où passerait-il ? On n'aperçoit que des courbes où pénètre le ciel comme une mer, des reliefs qu'il a écrasés, et qui s'allongent, s'étalent, s'enfoncent dans des trous sans fond. La montagne ne s'élève pas, elle s'abaisse, se rétracte, et l'on sent la poussée, la présence invisible et tyrannique de l'espace. Si ces minuscules maisons semblent reculées, c'est qu'elles constituent l'axe d'un paysage où tout ne cesse de régresser dans l'immobilité. Lorsqu'on y sera, on se demandera encore si on est bien dans ce qu'on a vu, si on a pas aperçu un mirage, un village fantôme ; mais la montagne passant la gueule entre tous les murs, ou l'horizon, plus grand qu'ailleurs, où se déversent et se vident les maisons les chemins et les prés, rappelleront à chaque instant qu'on y est : loin.

Déjà le jour faiblit, de grands pans de terre baignent dans l'ombre. Deux ou trois points lumineux se sont allumés parmi les maisons, vacillants, si fragiles qu'ils se réduisent presque à des signes, réabsorbés de temps à autre par le noir, pour en ressortir tout de même. C'est à eux que doivent ressembler ces lueurs aperçues dans la forêt par les héros des contes, et qui les perdent. À les voir, on sent déjà le froid plus vif, le vent roulant deux feuilles dans les venelles noires, le passage d'un chien silencieux, le souffle d'une bête à corne invisible et puis, s'avançant au ras de végétations indistinctes, humide et chargé d'odeurs lourdes, le mufle de la nuit.

Difficile d'estimer à quelle distance se trouve le lieu que désignent les lumières, les obstacles qui en séparent, si cet emplacement qu'elles s'efforcent si faiblement de marquer encore un peu l'idée de lieu, en dépit de tout, alors que tout l'espace est occupé par les longs mouvements de l'obscurité qui se déploie, théâtralement, en vastes plissements.

À nouveau, comme si on ne devait jamais en finir, descendre entre les hauts sapins noirs, à nouveau remonter en lacets qui mènent la voiture tantôt ici, tantôt là, nez vers la roche, nez vers le vide. Les incessants changements d'orientation modifient les perspectives et les paysages, et la route a l'air de ne jamais décider dans quel pays elle va, au fond des forêts, dans les hauts pâturages ou sur le rebord des plateaux. On n'a pas seulement abandonné la ligne droite, mais encore la logique même de l'orientation. La route se transforme doucement en lieu. Les virages ne sont plus des détours, ils valent pour eux-mêmes.

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