Pierre Maël

"Onze heures ! Annette ne rentrera plus que demain", soupira-t-elle.
Et cela lui serra le coeur, la pensée de cette longue nuit d'hiver qu'il fallait achever sans sommeil, loin de ceux qu'elle chérissait, entre ce blessé et ce moribond, sous la menace d'évènements inconnus, mais dont elle éprouvait le pressentiment redoutable.

A ce moment, un nouveau hurlement, plus lugubre encore que le premier vint faire frissonner les deux jeunes gens. L'officier s'était assis sur son lit, s'appuya sur son bras valide et se trouva à côté de la fillette.
" Voyons", dit-il en s'avançant vers la couchette où râlait le pauvre petit Breton.
Ce n'était pas le premier qu'il voyait mourir depuis le commencement de cette fatale guerre, et il eut bien vite reconnu les terrifiants symptômes qu'imprime sur les visages des condamnés la blême faucheuse.
" Eh bien? fit Madeleine, l'interrogeant du regard.
- C'est la fin, répondit-il, le pauvre garçon ne passera pas la nuit"
Elle tressaillit et sa gorge se serra douloureusement. Elle le savait, elle le voyait bien mal, et cependant cet arrêt la frappa. Elle s'était attachée à ce petit soldat qui, naïvement, lui avait laissé lire dans son âme simple et religieuse de paysan breton.
Et deux larmes qu'elle n'essaya pas de retenir coulèrent le long de ses joues et vinrent tomber, perles de pitié, sur l'oreiller du mourant.