Je me gare [...] juste à côté de la perception devant laquelle se dresse une croix de cinq mètres de haut avec son Christ grandeur nature. Toute la souffrance du contribuable face au fisc en temps de crise.
Notre commissaire principal préside, il est originaire de Lit-et-Mixe et a épousé une Basque car, comme il le dit lui-même, il apprécie "quand ça pique".
C’est toujours rassurant d’avoir un but précis, on sait où on va, même si c’est vers le vide ou l’échec, on y va.
Je me mets à trembler de tout mon corps. Qu’est-ce qu’ils ont dit ? « On la tue, là, tout de suite ? » C’est bien ça ? Je me rends soudain compte que ma vie ne tient plus à rien, s’ils le décident, je suis assassinée en quelques secondes et tout sera fini. Tout ce que j’ai construit, bâti avec acharnement pour parvenir au sommet, toute une vie de combats face à ces hommes, milliardaires, politiques, journalistes, tout ce que j’ai fait et encaissé pour les dominer. Ma vie personnelle réduite à presque zéro. Je suis devenue un roc, une guerrière cathodique, et me voilà soudain rien du tout, à la merci d’inconnus et pour une raison que j’ignore. Je réalise que s’ils me tuent, je ne saurai pas pourquoi, je n’aurai rien à dire, je n’aurai même pas à me défendre, à argumenter, à convaincre. Tout ce que je sais faire ne me sert plus à rien. Peut-être qu’on ne me retrouvera jamais, que je serai définitivement effacée, oubliée, disparue. Je suis totalement dépendante et je ne supporte pas cette situation, mais je suis aussi parfaitement impuissante. Je réalise soudain que je ne suis pas préparée à cela, à la réalité de la violence physique et psychologique poussée à ce point. Je suis une théoricienne qui pense, condamne, juge et fait agir les autres. Je ne connais pas la réalité des choses, les souffrances réelles des hordes de gens pour qui mes décisions peuvent signifier un arrêt de mort.
Et puis il y a l’argent qui a coulé à flots sur le régime fasciste, même le pape Pie XII a signé un joli « concordat » avec l’Espagne. Le pouvoir est ainsi partagé entre le dictateur militaire pour l’ordre et l’Église pour les consciences. Tout le monde est content et supporte au cœur de l’Europe un régime inflexible, surtout contre les Basques et contre notre organisation secrète émigrée aux États-Unis.
Pour les Basques, c’est une catastrophe. Les Américains nous toléraient comme pouvant faire partie d’un gouvernement alternatif possible, comme un recours dans le cas d’un éventuel changement de régime. Ils ont été subventionnés pendant la guerre, depuis 1936 et jusqu’à l’année dernière. Maintenant, les autorités fédérales leur ont fait comprendre que c’était fini, plus question d’avoir la moindre activité aux États-Unis, alors on déménage notre cœur.
Les regards se croisent, interrogatifs, circonspects, avisés, réservés. La situation apparaît complexe, floue. Les deux points énoncés par la juge n’ont pas trouvé de véritable réponse. Qu’en est-il de ce témoin qui a alerté Xavier ? Connaît-il l’Américaine ? Quel est son rôle ? Qui est-ce ? Comment le retrouver ?
Quelle idée d’avoir organisé le sommet des sept chefs d’État parmi les plus puissants du monde en pleine période de vacances, dans un lieu bourré de touristes, au cœur de l’été. L’endroit est fantastique, mais difficile à sécuriser, et puis son patron est de mauvaise humeur, il a l’impression que, à part le Canada, tout le monde lui en veut, y compris le Japon. Il n’aime pas les Européens et leur supposée arrogance de vieilles nations sur le déclin qui donnent des leçons et ne font pas grand-chose. Et puis, il y a ce contact étrange, venu d’ailleurs, ce rendez-vous mystérieux qu’elle ne peut pas refuser et qui la renvoie loin en arrière, vers un passé qu’elle a occulté, qui ne la concerne plus, qui ne l’a jamais vraiment concernée, mais qu’elle ne peut pas ignorer. Sa famille basque d’ici l’appelle. Alors, elle y va.
Ces meurtres et cet enlèvement sont pour nous totalement incompréhensibles, il n’y a pas de revendications pour l’instant, de plus, ce n’est pas la manière de faire des terroristes qui préfèrent des actions spectaculaires, genre attentats à l’explosif avec beaucoup de victimes, ce qui n’est pas le cas. Nous ne sommes plus dans l’immédiat après-guerre quand les nations se menaient une bagarre secrète où tous les coups bas étaient permis, en particulier les enlèvements et les assassinats ciblés. Et pourtant, Lisbeth Woodword a bien été enlevée. Il faut que tout le monde sache qu’elle est un personnage extrêmement puissant, plus puissant que le secrétaire d’État4. Elle est au courant de toutes les affaires les plus confidentielles et sensibles de la planète, ce qu’elle sait est plus dangereux qu’une bombe atomique.
Tout est impeccable, c’est le calme et la sérénité de cette superbe nature entretenue avec amour. Après avoir parcouru environ quinze kilomètres, avant d’arriver à Hasparren, ils obliquent sur la gauche et empruntent une petite route qui devient rapidement une piste. L’endroit quasi désert est constitué d’immenses prairies à l’herbe rase, caractéristique des pacages de moutons, parsemées de fougères sauvages, de bouquets d’arbres et de quelques fermes isolées. C’est l’été, l’air est très chaud, tout semble engourdi, ils roulent doucement en soulevant un nuage de poussière.
Ce qu’elle a appris, toutefois, c’est que Xavier a été marié très jeune, puis a divorcé un an plus tard, l’année où son père, un important dirigeant de l’organisation indépendantiste basque eta, a été tué dans l’explosion d’une cache d’arme au sommet du col d’Orgambidé. La vie de ce fils de bonne famille a basculé à ce moment-là. Puis Xavier a poursuivi des études incroyables : Normale Sup’ lettres, Sciences Po et l’ena pour finir par entrer dans la police et revenir dans son cher Pays basque pour ne plus en bouger.