Hommage à Pierre Toreilles
L’éphémère retient
Le vacarme de l’aube.
Sérénité du jour,
Immobile inquiétude où le vent
Dépolit le silence
Lointaine alors
Tu te retournes
Et naissent sur tes pas
L’aisance et la douleur
L’évidence quotidienne
La réalité des saisons
Dans l’absence du ciel,
Et, plus bleu que le ciel
Le sourire de l’eau
En ce sommeil
De sables et de feuilles
Car il faut dire maintenant
Ce que dans le matin corroyait l'or du ciel.
L'écho d'une couleur
Qu'en chaque mot rongé d'azur
Notre mémoire psalmodie...
Au discordant accord l'énigme nous convie...
-
J'ai vu la nuit tisser
L'éclat muet de l'étincelle
Élytres dispersés.
Lucide est le sans fond, l'infiniment clarifié.
Son spéculaire émoi réenchante l'abîme...
Incessant éloge du bleu...
STROPHE IV, De quel masque nous fut l'échange, pp. 52-53
& ÉPODE, extraits, p. 58
Chaque brin de limpidité,
Chaque goutte
Parfaitement écrite,
me surprend.
« Ce n'est pas des mots qu’il faut partir pour appréhender et découvrir le réel, c’est du réel même qu’il faut partir », Cratyle.
Le réel est, non pas « la réalité », mais le lieu du non-dit. Ce qui naît souvent dans l’exercice de l’écriture poétique, c’est tout à coup comme une sommation de la parole dans la langue.
Avant que de nommer nous voici donc interpellés. Ce moment Plotin le décrit dans les Ennéades lorsqu’il dit : « Je contemple, les lignes des corps comme émergentes, surgissent ». Dans l’écoute, cette sommation est le faire du poème, au sens de surgissement. ...
Je désigne en cela l’émergence : manifestation du réel énigmatique, dévoilement qui interroge (s’interroge, nous interroge) sans cesse, entretient (en ses multiples sens), enjoint incessamment de répondre, ébrase.
...
Le réel est énigmatique. Écrire pour moi poète est donc interroger l’énigme par les mots irriguant ma langue, éclairant son discours. L’interroger est donc écrire, élaborer l’énigme — et non le sens —. Dans cette activité, ou par elle, atteindre peut-être à l’origine où questions et réponses en son éclosion se confondent. Paradoxale est alors la satisfaction par l’énigme donnée en un accord parfait de nature. C’est là le simple.
...
L’énigme est en elle-même irréductible, alors que l’usage que l’on fait des mots ne l’est plus, dans la mesure où cet usage justement les a préalablement séparés de la parole, déracinés, rhétorisés — ou comme il est dit curieusement — ramenés au concret.
Ainsi que l’écrit magnifiquement Meschonnic, « la poésie est le dire qui implique le plus de non-dit. Ce qui est tout autre chose que l’ambiguité ». L’énigme en son dit n’est pas ambiguë. Elle est ce qui assume le discours (la poétique donc, et la littérature qui importe) dans le poème, mais ne lui cède en rien. Bien au contraire lui résiste.
Correspondances II, extraits — Revue PO&SIE no 2, 1977.
Nommer est-ce laisser au cœur de chaque chose,
éclairante et tardive, une lumière pour mourir ?
Un murmure peut-être irisant sobrement
l’accueil silencieux de leur ténèbre ?
O mon esprit n’est plus à vouloir arracher,
mais à laisser venir dans l’ouverture de leur lampe
les mots d’un sinueux parcours.
Toute figure s’est donnée
pour mesurer à son image
le lieu de leur éclosion.
Est-ce semence
à l’intérieur démesuré de leur distance,
cet incessant chuchotement ?
(Le désert croît - Denudare, p. 57)
... Inaltérable courbe en l'échancrure de la mer, pur présage arraché à l'index de midi, Temps juste, Espace juste, au coeur de l'immobile et du mobile, es-tu le lieu vers lequel se déroule ou dans lequel s'enroule le commentaire pur? Comme l'écho d'un long été, flamme fraîche de nos pénombres, parfaite est la lumière au coeur de l'ombre et la flûte au coeur du cyprès ...
« Mesure de la terre », éd. Glm, 1966.
Silence …
Extrait 4
Regarde,
au loin la mer
à travers les collines s’écaille,
Il est comme une brume de silence,
et quand s’émeut la joie,
si semblable à des cris
remonte, ivre déjà
l’enfance d’un visage...
Chaque pierre a gardé quelques gouttes de nuit,
l’herbe, à travers la mousse,
humide encore, quelqu’insecte...
familier le sentier prononce chaque pierre.
La grive
Une branche chuchote
alourdie de silence et délivrée de ses parfums.
Lisible est sur le jour la présence de l’aube.
Le plus léger le prend sur le plus lourd
Et les lignes des corps surgissent sans mémoire.
Ange élevant le temps à l’espace du cri
une branche attentive hésite.
De quelle inexpliquée déflagration s’altère-t-elle ?
Ces lieux
Que tu as su creuser jusqu’à leur résonance
Ont accueilli la voix qui s’avançait vers toi.
N’es-tu pas étranger cependant ?
Cesse d’imaginer
Que le silence est habitable.
On n’imagine pas le silence
Il éblouit l’espace.
Pesant autour de chaque objet
Il creuse son absence
Et ma voix le perçoit maintenant.
Je ne suis pas aveugle,
Ton ombre
Entre eux et moi
N’est même pas portée
Et ton vacarme est inimaginable.