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Citation de genou


..., un vieil homme commença de rôder autour d’elle. Il était digne et correct. Sous des sourcils lourds et gris, son oeil avait une inquiétante fixité. Il finit par suivre Louise de près, puis brutalement vint à sa hauteur et lui dit :
— Venez-vous ?
Elle regarda ce « client », et d’un geste de la tête fit oui. En même temps une rougeur, dont, après sept mois de cette vie parisienne, elle se croyait bien devenue incapable, colora son visage. Il se mit à marcher à son côté, la dévisageant âprement, puis reprit :
— Prenons par ici. Mon appartement est au second, dans la rue, là-bas.
Une rue, puis une autre, et Louise, par un couloir somptueux, entra dans un ascenseur, poussée par son guide, et, cinq minutes plus tard, se trouva dans un vaste salon, encombré de tableaux. L’homme dit :
— Déshabille-toi.
Durement, elle répliqua :
— Donne-moi mon cadeau.
Il eut un sursaut à ce mot, puis tira son portefeuille.
— Tiens, voilà cent francs. Tu en auras autant après.
Louise haussa les épaules, plaça le billet dans son bas et commença à se dévêtir. L’homme la regardait avec curiosité. Sans dire un mot, quand elle eut fini, elle se tourna vers le vieil-lard. Nue, sauf ses bas, très droite, les talons joints, la débutante fit alors un signe qui pouvait vouloir dire : à vos ordres. L’homme affirma narquoisement :
— Tu as des façons militaires.
Elle ricana :
— Je croyais avoir au contraire des façons très civiles.
Il vint regarder le joli corps nu.
— Tu ne fais pas cela depuis longtemps ?
— C’est le premier jour. Tu es mon premier client.
— Pourquoi ?
— Qui me fera manger ?
— Mais…
— Tais-toi, dit-elle. Je ne suis pas venue chercher de la morale. En ce cas, ce serait toi le fournisseur et j’aurais à te payer ; je suis venue te faire jouir. Comment le veux-tu?
Il demanda :
— Combien de fois as-tu été déjà aimée ?
— Dix.
— C’est tout ?
— C’est peut-être neuf fois de trop.
— As-tu un amant de cœur ?
— Ni de cœur, ni d’ailleurs.
— C’est bien. Tiens !
Il tendit un autre billet de cent francs.
— Habille-toi et va-t’en. Tu me glaces. Tu ne réussiras pas dans ce métier. Il faut de la douceur et du mensonge, des caresses et des mamours…
Elle reprit son linge, puis sa robe, et répondit enfin :
— Quand j’ai voulu travailler, on ne m’a pas demandé si je pouvais le faire bien, mais seulement si je voulais ouvrir les cuisses. J’ai donc décidé de vivre de mes cuisses ouvertes.
— Va-t’en, reprit l’homme. J’aime les femmes, mais si je te vois encore dix minutes, je deviendrai chaste. Tiens, prends encore !
Et il lui tendit un autre billet.
Louise partit. Un orgueil la possédait. Ainsi, depuis six mois elle cherchait inutilement du travail. Or, l’argent venait à elle aujourd’hui, après tant de vains efforts, de ce seul chef qu’elle renonçait enfin à tout labeur, à toute vergogne et à toute pudeur. Quelle leçon ! Ses pas méditatifs la conduisirent vers la place Clichy. Un jeune homme très élégant l’accosta soudain :
— Mademoiselle, voulez-vous que je vous accompagne ?
Louise répondit froidement, se sentant assurée du lendemain :
— C’est cent francs !
Il les tira de sa poche avec un air amusé.
— Voilà ! Mais je vous garde jusqu’à six heures ce soir.
— Oui, si c’est pour me promener, mais pour l’intimité ce sera deux cents de plus.
— Ça va ! Toutefois à ce prix je fais de vous ce que je veux?
— Non, c’est l’intimité. Je me déshabille et vous me regardez comme la Vénus de Milo.
— Mais alors, pour toucher ?
— Dix louis de plus.
— Et si je veux que vous me le rendiez ?
— Dix louis encore.
— On peut prendre un abonnement pour la semaine ?
— Bien entendu, mais payable d’avance. C’est quinze cents francs.
— Je m’abonne. Vous êtes une femme comme je n’en ai jamais rencontré. Vous m’avez épaté, et je vous prie de croire que je n’ai pas l’épatement facile.
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