Oui, si je ne peux plus écrire, je périrai. Plutôt quinze ans de détention, mais la plume à la main...
- Dites, la moitié de Pétersbourg devrait être aujourd'hui sous les verrous - protestai-je. - C'est pour ainsi dire notre trait national, cet engouement pour les causeries nocturnes, ce penchant pour couper les cheveux non pas en quatre mais en trente-six. Comment en faire une affaire politique !
Notre cortège avançait à toute allure à travers les rues luisantes d'humidité. Ça et là, une porte cochère s'ouvrait à notre passage, une concierge nous jetait un regard hostile par dessus l'épaule, une lampe matinale brillait derrière une vitre, un piéton se faufilait entre les flaques d'eau, le bruit l'arrêtait, il levait les yeux pour nous voir passer, redressait le col de son pardessus et reprenait son chemin.
Là, comprenons-nous bien : loin de moi la tentation de verser dans les jugements faciles, d'autant que la personne qui n'a jamais vu de près la potence aurait tort de présumer de ses forces.
Les aveux n'étaient qu'un fouillis de repentirs diffus, de regrets et même de pleurs pour les uns, un bloc de silence et d'arrogance pour les autres. Et l'affaire du complot politique, qui s'annonçait fort bien, se transformait sous ses yeux en un tir manqué, on avait nettoyé le canon, chargé l'obus, mais faute de feu, on ne pouvait allumer la mèche.
Ceux qui sont experts en comportement des foules savent très bien que rien ne paie autant qu'un acte de bravoure, même idiot.
Aucune délation ne me forcera à être quelqu'un d'autre que je suis.
Mais aujourd'hui, laissons de côté la chose politique, bien qu'il faille admettre que nous avons tort de la confier, au quotidien, à nos politiciens aguerris et à nos révolutionnaires de métier. Peu importe tout cela. Aujourd'hui, je préfère penser à cette matinée froid de février et à ces milliers de personnes qui accompagnaient, à sa dernière demeure, le corps chétif de Fiodor Mikhailovitch Dostoievski.
- Sais-tu ce qui fait le plus mal ? D'avoir honte, me diras-tu? Non! C'est de faire semblant de ne pas avoir honte. Je regarde autour de moi et je me demande pourquoi un citoyen ordinaire, plus ou moins éduqué et conscient, un peu comme toi et moi, pourquoi donc accepte-t-il sans broncher cette mise à mort ?