Semih Vaner

Cet ouvrage collectif s'interroge sur la spécificité de la Turquie au sein du monde musulman. Est-elle une exception en raison de ses institutions républicaines, de l'affirmation d'un principe de laïcité, d'une certaine idée de la modernité qui s'est forgée bien avant le kémalisme ? La première partie de l'ouvrage est consacrée à la sortie de l'Empire analysée sur le plan géopolitique par Stéphane Yérasimos (la douleur des membres fantômes) et historique par Alexandre Jevakhoff, biographe de Mustafa Kemal. La seconde partie s'interroge sur les relents de l'autoritarisme et les avancées démocratiques dans une approche plus orientée par la science politique. À remarquer l'article de Semih Vaner sur les liens qu'entretiennent démocratie et autoritarisme en Turquie, l'analyse d'Hamit Bozarslan sur la coercition étatique et la violence, et la difficile émancipation féminine décrite par la sociologue Şirin Tekeli. L'islam et la question religieuse fait l'objet d'une troisième partie tandis que la question kurde est abordée dans la quatrième. L'économie (formelle et informelle) et les relations extérieures, notamment avec l'Union européenne ne sont pas oubliées. La dernière et septième partie est consacrée à la culture sous tous ses aspects et est passionnante.

Certaines analyses sont aujourd'hui un peu démenties par l'évolution politique et constitutionnelle du pays. Si l'arrivée au pouvoir de M. Recep Tayyip Erdoğan, après le raz de marée de l'AKP aux élections législatives de 2002, s'est manifestée au début par une ouverture en direction de l'Europe et un apaisement du conflit avec les Kurdes tout en assouplissant les contraintes pesant sur la liberté d'expression et ses manifestations, la tentative de coup d'État de 2016 a sonné le glas du dégel démocratique.

La richesse de cet ouvrage permet d'avoir un panorama des évolutions de la Turquie depuis l'instauration de la République, de mesurer les enjeux de son développement et la complexité de son positionnement sur la scène internationale. Par ailleurs, on peut aussi mieux appréhender sa diversité ethnique et la multiplicité des influences qui ont nourri sa culture.