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Citation de Musa_aka_Cthulie


Natalie était muette de terreur à l’idée de rester seule avec sa mère ; au moment où celle-ci ouvrait la bouche pour parler (peut-être afin de s’excuser avant de quitter la table ; peut-être redoutait-elle tout autant un tête-à-tête avec Natalie), Natalie se dépêcha de bredouiller : « J’ai plein de choses à faire  », s’éclipsa sans la moindre élégance par la porte-fenêtre derrière sa chaise et descendit les marches en pente douce qui conduisaient au jardin.
Le jardin n’était pas son endroit favori au monde ; elle aurait préféré, par exemple, être seule dans sa chambre avec la porte fermée, ou assise sur l’herbe au bord d’un ruisseau à minuit, ou, si on l’avait laissée complètement libre de choisir, debout, immobile, contre une colonne dans un temple grec ou à bord d’une charrette tombereau à Paris ou au sommet d’un gros rocher isolé dominant la mer, mais le jardin était plus proche, et son père était content de la voir se promener le matin parmi les roses.
« Votre âge ? demanda l’inspecteur ? Profession ? Sexe ? »
C’était une matinée splendide, et le jardin semblait se réjouir. L’herbe s’était épuisée pour déployer un tapis plus vert que d’ordinaire devant les pieds de Natalie, les roses étaient lourdes, odorantes et dignes d’être offertes à quantité d’amoureux, le ciel était bleu et serein, comme s’il n’avait jamais connu une larme. Natalie sourit en secret, raidissant les épaules sous son mince chemisier blanc, agréablement consciente d’elle-même depuis la ligne horizontale de ses épaules jusqu’à ses pieds loin au-dessous, de sorte que, adossée au mur solide, intangible, de l’air, elle était une chose menue, gracieuse, toute d’acier délicatement capitonné. Satisfaite, elle prit une profonde inspiration.
«  Allez-vous parler maintenant  ?  » insista l’inspecteur en haussant le ton, bien qu’il conservât sa voix dure, métallique, et parfaitement maîtrisée.
« Croyez-vous que vous pouvez, seule, vous opposer aux forces de police, au pouvoir et au poids d’une autorité dûment constituée, vous opposer à moi ? »
Un délicieux petit frisson parcourut l’échine de Natalie.
« Je suis peut-être en danger à chaque instant de ma vie, répondit-elle à l’inspecteur, mais je suis forte à l’intérieur.
–  C’est une réponse, ça ? rétorqua l’inspecteur. Et si je vous disais qu’on vous a vue ? »
Natalie leva fièrement son visage vers le ciel.
« La gouvernante, souffla l’inspecteur, dans un murmure sournois qui faisait l’effet d’une gifle. Elle a témoigné – sous serment, notez bien, Miss Waite, sous serment  – vous avoir vue franchir la porte d’entrée quinze bonnes minutes avant que vos cris n’attirent la maisonnée dans le bureau où vous vous teniez debout près du cadavre de votre amant. Eh bien, Miss Waite ? Eh bien ? »
Natalie articula avec peine : « Je n’ai rien à dire.
–  Que penser à présent de votre déclaration, Miss Waite  ? continua impitoyablement l’inspecteur. Votre précieuse déclaration selon laquelle vous étiez seule dans le jardin ?
– Je n’ai rien à dire, répéta Natalie.
– Répondez-moi, Miss Waite », poursuivit implacablement l’inspecteur d’une voix douce et diabolique en approchant son visage cruel de celui de Natalie.
« Répondez-moi… Doutez-vous de la parole de la gouvernante  ? Osez-vous prétendre qu’elle ment ? La croyez-vous incapable d’estimer le temps écoulé ? »
« Dix heures, Natalie, lança Mrs. Waite depuis la porte-fenêtre.
– J’arrive ! » Parce qu’elle courait toujours au lieu de marcher, Natalie survola l’escalier d’un bond –  comme un chevreuil, pensa-t-elle en sautant – et rentra dans la maison. « Où est mon cahier ? » demanda-t-elle à sa mère, puis elle fila sans attendre la réponse ; son cahier se trouvait sur la table du vestibule, là où elle l’avait laissé ce matin en descendant prendre le petit déjeuner. Elle l’attrapa et frappa à la porte du bureau.
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