Festival des Utopiales à Nantes
Dès les premières lignes de sa théogonie, Hésiode fait de l'amour la force d'attraction universelle. Lucien, lui, nous fait voyager dans l'espace avec ses Histoires vraies. Et, plus prosaïquement, les rêveurs de l'école de Milet deviennent les pères de la physique
Les anciens Grecs et Romains auraient-ils aimé lire de la science-fiction ?
Avec : Valérie Mangin, Vincent Bontems, Simon Bréan
Modération : Daniel Tron
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Malgré une production rarement originale, Fleuve noir peut être considéré comme le vecteur d'une science-fiction française en constante amélioration. Gérard Klein va jusqu'à affirmer que
"[...] la collection du Fleuve noir est à peu près aujourd'hui la seule qui vit, c'est à dire celle où l'on ait de bonnes surprises. Dussent en pâlir les vieilles lunes de Mars, si la science-fiction en France échappe à l'ankylose, ce sera pour une bonne part finalement au Fleuve noir qu'elle le devra." (*)
(p. 135)
(*) Gérard Klein, Fiction n°118, septembre 1963, p.141.
La lecture d'une œuvre de science-fiction implique de développer une vision du monde particulière, plus souple et labile que celle de la plupart des lecteurs.
À partir de 1955, dans le nouveau texte de présentation de cette même collection [Le Rayon Fantastique de Gallimard et Hachette], à la question "Depuis quand existe la science-fiction ?", il est répondu : "Elle est aussi ancienne que la fantaisie. Platon, Cyrano de Bergerac, Voltaire, Edgar Poe, Jules Verne en ont fait bien avant que le mot soit inventé, en 1926, par l'Americain Hugo Gernsback". (p. 87)
(Dans la chronologie indicative de la science-fiction (p. 421), Simon Brean note dans le domaine français :
1657 Histoire comique des États et Empires de la lune ; histoire comique des États et Empires du Soleil de Cyrano de Bergerac.
1752 Micromégas de Voltaire.)
La science-fiction, par conséquent, ne relève ni de la prospective, ni de la futurologie. Elle augmente le présent de son écriture de tous les possibles envisageables, mais aussi de tous les possibles déjà envisagés. Le macro-texte de la science-fiction regroupe la mémoire de tous les futurs, passés, présents et à venir.
Même si la science-fiction peut circuler et parvenir à ceux qui n’en lisent jamais, ce sont les parutions fréquentes et originales d’œuvres littéraires qui la font évoluer et se développer sans cesse. Ce n’est qu’à travers elles que la richesse du macro-texte est susceptible d’être éprouvée, et que la possibilité d’un retour innovant d’images et d’idées communes peut trouver sa justification. Une littérature de science-fiction qui oublierait ses avenirs serait condamnée à se répéter, mais les écrivains qui reprennent judicieusement des objets bien délimités peuvent se tailler, dans le vif du macro-texte, des univers personnels.
Entre 1970 et 1980, près d’une quarantaine de collections publie des textes de science-fiction. Il ne se passe pas une année sans qu’apparaissent de nouveaux lieux de publication pour une forme ou une autre de science-fiction. Certaines collections ne comptent que quelques titres répartis sur un an ou deux, mais tous les membres du domaine, écrivains, critiques et lecteurs, ont le sentiment que la science-fiction connaît une expansion continue, dans des conditions propices à l’émergence de nouveaux talents et à la consolidation de carrières littéraires.
Sous la direction de Gérard Klein, la collection Ailleurs et Demain propose une série de romans jugés exceptionnels, et dont certains connaissent d’importants tirages, en dépit du prix de ces ouvrages en grand format. Les lecteurs découvrent les oeuvres d’auteurs alors peu ou mal connus en France, comme En terre étrangère de Robert A. Heinlein ou surtout Dune de Frank Herbert. Cette collection fournit l’exemple d’une activité de médiation que n’assurent alors ni Présence du Futur ni Anticipation.
Le succès commercial et d’estime rencontré par Robert Laffont est concomitant d’autres réussites, comme la mise en place en 1970 d’une collection spécifique chez Marabout et surtout chez J’ai lu, sous la direction de Jacques Sadoul, qui préfère ne pas faire figurer de mention de genre sur la couverture : « J’en étais arrivé à la conclusion que, plus que la chose, c’était le mot qui rebutait les lecteurs français, persuadés de découvrir sous ce label de sottes histoires pour adolescents ou des récits scientifiques ennuyeux. » Il attribue à ce « stratagème » la réussite commerciale de sa collection. (…)
En choisissant pour leurs collections des amateurs de science-fiction, investis pour certains dans le domaine depuis une vingtaine d’années, plutôt que des professionnels de l’édition, les éditeurs font avant tout un pari rationnel, puisqu’ils s’efforcent de mettre à profit la culture spécialisée d’individus motivés.
Le lecteur averti perçoit les objets de la science-fiction non comme des fantasmes, mais comme des points d’appui pour soulever le monde. Il sait quelle discipline intellectuelle est nécessaire pour comprendre les enjeux déployés dans les textes de science-fiction et quelle stimulation procure la recréation des mondes étrangers qui y sont postulés : la lecture d’une œuvre de science-fiction implique de développer une vision du monde particulière, plus souple et labile que celle de la plupart des lecteurs.