"L?humanité est née le 31 décembre à 23 heures, 59 minutes et 46 secondes sur le grand calendrier de l?univers. Quatorze secondes d?existence. Qu?avons-nous fait de ce quart de minute ? Qu?avons-nous réalisé en regard de la progression du cosmos ?
Face aux retombées du Big Bang, notre conscience ne pèse pas lourd et se perd dans une multitude d?évolutions possibles. Qui sommes-nous ? Pourquoi sommes-nous là ? Et où allons-nous ?
D?une Terre médiévale burlesque à l?autre bout de la galaxie, des inquiétudes rongeant la matière noire à la satisfaction pré-mortem d?un insignifiant rouage, Sonia Quémener nous emmène sur les chemins de nos réponses subjectives, personnelles? et inutiles à la marche infinie des choses. Tout ce que nous contrôlons finit par nous échapper, indubitablement.
? Ah, parce qu?on aurait à un moment contrôlé quelque chose ?"
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On peut certes discuter la chose, mais la plupart de nos scientifiques pensent que l'idée précède l'action. Un individu doit d'abord se percevoir distinct de son environnement pour penser à agir sur lui par un outil intermédiaire. En d'autres termes, il doit avoir conscience de soi ; et pour cela, percevoir l'histoire du monde comme distincte de la sienne propre : des choses y apparaissent et en disparaissent tandis que lui, de son point de vue, est toujours présent. Voilà pourquoi nous avons adopté pour critère du langage technologique la capacité d'évoquer ce qui n'est plus et ce qui sera.
Une inquiétude réelle quoique souterraine me tourmentait depuis l'annonce que des êtres semblables à nous s'étaient exterminés dans une guerre totale. Devais-je lire là un sinistre présage pour notre espèce ? Etait-il possible qu'un prodigieux progrès technique ne s'accompagnât point d'un progrès équivalent dans la compassion et la douceur ? Devrais-je si je rentrais un jour chez moi, me faire l'avocate du renoncement à un savoir porteur de tels dangers ?
Que c'est triste, murmurai-je surtout pour moi-même. L'espèce intelligente la plus proche de la mienne se révèle composée d'abominables monstres génocidaires, les aimables poulpes débonnaires sont infanticides... Les plus sympathiques étaient encore ces plantes aériennes, mais elles ne pensaient pas vraiment. Est-il inévitable que la conscience s'accompagne de cruauté ?
A peine la porte s'est-elle refermée sur le domestique que ma mère se manifeste :
- Cette femme est d'une incommensurable stupidité, estime-t-elle à voix forte et claire. Je la crois bien plus qualifiée, plutôt que de s'occuper d'êtres humains doués de raison, pour l'entretien des plantes, ses sœurs...
- Vous rendez-vous compte qu'elle a dû seulement vous entendre ? Pourquoi offenser ainsi les gens ?
- Ah, je reconnais là ton âme généreuse. Devant une telle créature j'ai tendance à oublier qu'un cerveau existe là-dedans, qu'il s'efforce d'interpréter les informations tant bien que mal transmises par des sens livrés à eux-mêmes, et donc que ce cerveau serait susceptible d'avoir saisi mes paroles...
Toi, bien sûr, je t'ai fait souffrir ; je me réjouis que cette blessure n'ait pas gâché ta vie.