Aucune époque n'a encore été si grande dans ses questions et si misérable dans ses réponses que la nôtre.
J’AI VU MONTER LES PINS
J’ai vu monter les pins
Vers le ciel. Impassibles.
À travers les feux des soleils.
Déjà j’ai vu l’incendie
Qui les consumera.
Sur un oreiller blanc
Les monts-ancêtres ont appuyé leurs têtes
Et se sont tus. —
Les pins bruissent.
(À qui parlent-ils ?)
Je les ai vus,
Colonnes ardentes
Qui cheminaient — vers le ciel…
Mon corps en cendres s’est effondré.
OH, MAIS IL N’EST PAS DE MORT
Oh, mais il n’est pas de mort, pas de mort !
Seul le silence est trop profond,
Comme dans une verte
Forêt sans limites !
On s’éloigne seulement,
On se tait seulement,
On est seul seulement,
Invisible et seul.
Oh, mais il n’est pas de mort, pas de mort !
On tombe seulement, on tombe seulement,
On tombe, on tombe
Dans le gouffre infini de l’azur.
QUAND LES ASTRES…
Quand les astres dans les brouillards cosmiques s’éteignent,
Et les tours se perdent dans les fumées
Et les oiseaux luttent contre l’hiver —
Comment nos âmes pourraient-elles chanter ?
Qu’elles scintillent comme cristaux bleutés
Et s’égarent là-bas dans l’azur,
Où dans les siècles nos frères sont restés,
Qui des lointains écoutent notre cœur.
Qu’elles meurent comme les astres meurent,
Et se livrent des guerres cosmiques,
Qu’elles fulgurent et s’éteignent
Et de nouveau se fondent en une autre planète.
LE PAS QUI RÉSONNE
Le pas qui résonne dans cette nuit morne,
Même heureux ne sonne pas;
Dans l’âme sont le silence et l’angoisse
— Où ces yeux effrayés, fixes, regardent-ils ?
Ont-ils peur de voir plus avant,
Le pas craint-il de résonner dans l’ombre ?
Et ce cœur n’est-il plus Prométhée
Rebelle à Dieu, démolisseur ?
Étranges, étranges sont les temples du cœur,
Que j’aimerais fermer au monde
Et mourir au tremblement,
Créer une nouvelle forme
— Mais l’aile malade se met à tressaillir,
Tu ploies et tombes à genoux sur le chemin.
SONNET DU NOUVEL AN
Compartiments vides… La lumière cille
Et dans le grondement sourd vacille,
La plaine muette s’étale solitaire ;
Il est dur de voyager à cette heure…
Le contrôleur appuyé à la vitre regarde fixement,
Ses yeux se perdent dans la plaine obscure,
Le cœur s’arrêterait, le train se hâte ;
Il est dur d’être seul à cette heure…
Le cœur s’arrêterait et plongerait
Dans ce silence muet, des vallées noires,
Le cœur s’arrêterait et se cacherait
Devant l’épouvante issue du souvenir ;
Dans la maison, à la campagne, la fille éteindrait
La lumière devant la peur des lointains inconnus.
LE CHANT DES HUMILIÉS
Dans l’âpre senteur des multiples sauces,
Parmi les cris, j’avance sur le pavé gris,
Les enfants sont des vieux d’affreuse expérience,
Leur face ne trahit santé, rire, ni rêves.
En cheveux à midi,
Affublées de chiffons,
Les femmes portent le déjeuner dans des cruches,
Leur oeil est mort, leur coeur est mort.
Et je vais parmi elles dans l’horreur de connaltre
Derrière chaque face, une face de vengeance,
Qui se lève à chaque instant comme la mer
Dans ce lit étroit de poissons pourrissants.
La quête…
Car toute vie est une recherche,
la quête du drap du silence
dont chacun se couvrirait le visage
et se mettrait rêver…
EXPULSION DE L’ESPRIT
L’esprit dans l’espace.
Le feu des orages embrase les ténèbres,
L’esprit brûle dans l’espace.
Il diffuse la lumière magique.
L’express aux vertes fenêtres
Brillant sur le viaduc.
Moi-même je brûle et m’éclaire ;
Aveugles ils éprouvent mon électricité
Mais ne voient pas la lueur.
Tous tremblent comme moi,
D’une ivresse de mort.
Ils reconnaissent là le frisson
Des ailes refusant de se déployer,
De rayonner comme un astre en la nuit.
Ils maudissent les geôliers du soleil,
Qui dorment
Comme des fonctionnaires.
Tous les hommes dorment la nuit,
Ils n’éprouvent pas les révélations magiques,
Qui sourdent en moi de moi
L’homme est expulsion de l’esprit.
Difformité de la connaissance.
LE FRUIT DE LA CONNAISSANCE
Elle est venue comme la flamme et la tempête,
Dans l’orage brûlait le paysage,
Le ciel semait l’incendie
Et ma pensée se changea en pierre.
Je m’agenouillai devant mon ultime autel,
Derrière les fenêtres, la flamme et la foudre,
Le ciel semait l’incendie
Et ma pensée se changea en pierre.
Quand je m’éveillai le lendemain,
Le paysage était sans cendres
Et sous la rosée en silence les champs verdoyaient,
Seul mon autel était dévasté
Et le vent soufflait frais et doux
Au visage l’air d’après l’orage me respirait.