J’ai dû mémoriser tant de choses, or j’ai un mal fou à mesurer le temps avec précision.
Mais comment oublier mon anniversaire ? Je ne me souviens pas de celui de ma mère ou de mon père – en revanche, je me rappelle leurs noms et prénoms.
Je me rappelle ceux de mes soeurs et il me semble me rappeler leurs anniversaires aussi.
Je me rappelle mes soeurs, notre maison, notre propre maison.
Je me rappelle l’argent que mon oncle a glissé dans ma poche avant de me hisser sur le bateau
rempli d’inconnus. Au moment de m’endormir, l’argent y était toujours et, à mon réveil, il avait disparu.
Comme ont disparu mes soeurs, ma mère et mon père. Mais je ne veux pas y penser.
Je ne veux pas non plus penser à cet homme qui a volé mon sac en me menaçant d’un couteau.
Mon sac dans lequel il y avait mon téléphone…et mes papiers.
Mais R a perdu son passeport en mer avec son frère, alors rien de tout ça n'a d'importance. L'homme de la zone administrative leur a dit que l'histoire de l'Enfant R était susceptible d'être un gros mensonge. Et que, sans son passeport, elle ne pouvait pas prouver qu'elle était R. Par ailleurs, il ne croyait pas non plus sa tata car, elle aussi, était susceptible de mentir.
Pas étonnant que R soit toujours en colère. Elle est rayée de la carte.
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Par conséquent, ici, personne ne sait que c’est mon anniversaire. Et personne ne m’offre de cadeaux.
Si je recevais une carte d’anniversaire, je la montrerais aux Gardes en leur disant : « Hé ! Regardez ! Vous me croyez maintenant ? Mon nom ! Mon âge ! Écrits en toutes lettres ! Preuve ! »
Voilà pourquoi je veux vous raconter mon histoire, parce que les Gardes exigent que tout événement soit prouvé.
Mais je ne vous raconterai pas mon histoire passée, plutôt celle de ma vie maintenant, ici, au Camp, en commençant par aujourd’hui.
Le jour de mon dixième anniversaire.
Pendant que les autres jouaient avec les lettres, je regardais les différentes sortes de feuilles qui poussent sur les arbres en me faisant la réflexion qu’une feuille ressemblait à un cœur qu’on aurait tourné et retourné, tourné et retourné pendant très longtemps. Un cœur en lambeaux. J’étais heureux. J’avais l’impression d’être chez moi.
R sourit. C'est la deuxième fois qu'elle sourit dans la même journée. C'est un record pour elle. (p.79)
Aujourd’hui, tandis que je somnole sous mon arbre, après m’être gavé de baies, je rêve de Livres de vie. Je rêve de M, E, R, C et I et des mots sont nous avons besoin pour nous libérer.
R et moi ne disons rien. C'est une règle tacite : la moindre nourriture va au plus jeune. pas de "si" ni de "mais". (p.92)
Je ne vous raconterai pas mon histoire passée, plutôt celle de ma vie maintenant, ici, au Camp, en commençant par aujourd'hui. Mon histoire débute ainsi...