Citations de Sylvain Massé (48)
C'était la fin d'octobre. Dans l'automne frissonnant, les truites allaient vers l'amont en glissants pèlerinages, par deux, par trois, par groupes aux ombres troublantes.
Le Gouffre noir!
Il reste dans son isolement glacé, fermé aux étoiles. Sa chair s'en va en lambeaux animés qui sont des sources, en épanchements, en sanglots, en fureurs, qui sont de la vie...
L'aube s'étirait lentement au-dessus des arbres; l'air était glacial et calme; l'étang luisait par places.
Il paraissait soudain, rouge sang, énorme, gonflé, houleux, singulier, tantôt disque, et tantôt oeuf ou tonneau... Il venait de loin, de derrière les mers...
Le "puriste" réprouve la pêche à la truite à l'aide de n'importe quel autre appât que la mouche artificielle. Et il y a encore des "ultra-puristes" plus limitatifs, plus exigeants encore...
Aux premiers froids de novembre les truites se rassemblaient; c'étaient des femelles qui, la veille encore se harcelaient; elles tâtaient le courant à l'entrée des goulets. Des mâles s'empressaient derrière elles; quelques-uns fusaient par-dessus la presse pour arriver au premier rang.
Des milliers de femelles trouvèrent, à point, leurs mâles inlassables...
Cela dura de longs mois.
Les derniers couples des éclosions tardives se laissèrent brimer par la première haleine hostile de l'automne.
Une sourdine de tonnerres faisait trembler ce coin d'espace comme une vitre. Des fulgurations éclairaient les horizons livides, puis s'éteignaient avec lenteur. Le jour, cerné, s'agenouillait.
Octobre arrive avec son odeur farouche d'hiver et de pierre éclatée, son voile de givre.
Il pleut depuis le jour de mon arrivée. Comme dans le tableau de Chintreuil : pluie et soleil. Mais, hélas! pas dans les mêmes proportions; ici, l'ondée est longue et molle, le coup de soleil fugace comme un clin d'oeil.
Une haleine courut sur la crête des pins comme un souffle sur une aigrette; des plaintes se faufilèrent dans les ravines.
Puis, une flamme, un cri. Un éclair poignarda la montagne. La montagne hurla. A ce double signal, les tonnerres tonitruants dévalèrent les pentes par tombereaux; du ciel à la terre, des flèches de feu ricochèrent, se brisèrent au flanc des rochers et des nues; un rideau oblique d'averse crépita à travers le tumulte soudain détendu.
L'août corrodait la montagne; la pierre, contractée tout l'hiver, éclatait.
Les neiges et les gelées crucifient la terre. C'est le moment où les muscles du granit éclatent, où les crevasses ressemblent à des blessures bourrées de coton. C'est le moment où les brouillards, en cohortes fantomales, se décident à descendre dans les vallées; leurs souffles déguenillés s'étirent et rampent, arrivent en désordre à Evolette, où le vent de la Teste les rudoie et les mêle aux fumées du village.
Il connaissait bien l'étang avec ses reliefs sous-aquatiques, ses bancs de callitriches, ses caches et ses traîtrises...
Le jour pointait sur la cime glaciale où nous arrivions, écrasés de fatigue. On devinait la mer là-bas, exhaussée, à cent kilomètres. C'était là qu'allait jaillir le soleil.
J'ai vu quelques levers de soleil sur les sommets désertiques de la Cerdagne française. Pour moi, un lever de soleil, c'est resté une belle aventure, mais une aventure rude avant d'être belle.
Il a des lueurs de tout. Il sait qu'on peut prendre les vipères par la queue sans courir un grand danger, tant que l'herbe est humide; il sait que les myrtilles seront bonnes à manger dans trois jours; il sait que la soleillée de la veille a fait pousser les premiers champignons.
Eau de cristal, gravier net et poli; pas la plus petite ombre mouvante. Mais les meilleures rivières à truites ont, comme cela, des heures, même des jours de mutisme absolu. Soudain, elles s'éveillent, tout du long, sur des kilomètres, et ce ne sont que mouchages, culbutes, ronflements de nageoires, fuites éperdues...
Le Tarn enfle doucement. Je regarde les remous se modifier comme des jeux d'étoffe soyeuse. Pour le pêcheur de truites, ces indices ont plus d'exactitude et de signification que les cotes d'étiage. L'eau est à peine trouble. Sous le pont, le gouffre est cerné de courants.
Je sors. Il fait froid. Le temps a vacillé dans la nuit. Il est à la pluie. Un paysan pointe son doigt vers le mont Lozère, si proche que je suis obligé de lever la tête pour le regarder, exactement comme lorsque l'on veut regarder l'heure au clocher.