LA DANSE DE SAKUNTALA
Danseuse de feu, filante en plein zénith.
Ballerine des sables, ton corps éblouit
Le mutisme du Ciel ;
Le ciel qui embrasse, enlace, délasse
Les moiteurs mordorées
De ton ventre de miel ;
Le ciel touche, pose sa bouche, goûte les épices,
Le blé, le lait et puis les fruits de ta peau de cannelle ;
Tu valses au creux des bras de la terre
Qui tourne, tourne, tourne
L’or fauve du désert ondule
Près du flot des rivières.
Les forêts de jouvence jaillissent
À l’orée des jardins suspendus.
Sakuntala.
Sylvie-E. Saliceti, Espace Méditerranéen, Autre Sud, Cahiers trimestriels, n° 44, mars 2009.
LE BATELIER
À Dagpo Rimpotché
Qui atteint l’autre
rive *,
Du côté de l’aurore ?
Coulant vers le soleil
par-delà les
remparts ?
Courant vers les
enfants, qui pleure
avec la pluie ?
Pour guider l'Océan et pourfendre la nuit ?
Qui atteint l’autre bord ?
Où sont les rives d’or ?
Le poète, batelier... le poète lui répondit Milarepa.
* Pâramitâ : « ce qui atteint l’autre rive »
Les imprononcés
Une nuit je trouvai une étoile
couchée en chien de fusil
sur le côté du sentier
petite planète
froide que je réchauffai dans
mes mains
ce n’est pas un conte
ce que je vous rapporte
est authentique
ni montagnes ni rivières ni ciel
ni le chant disert d’un frisson tout
l’avait désertée
pas un homme debout comme
un poème rien
que la forêt noyée
pourquoi cette forêt
pourquoi ces arbres ne sont-ils
plus que des écorces flottantes
en bois mort
sur le silence ?
Qu’adviendra-t-il lorsque le corail sera déserté
par les papillons de la mer ? Les continents par
les papillons de Kracov ? Que les pêcheurs ne
descendront plus le long des cordes à singe ?
…
Extrait 1
La main de l’eau ferme ma bouche.
Ce que je ne dis plus, ce qu’il m’est impossible
désormais de révéler se plante autrement dans ma
chair : par une langue d’orage.
Elle divise la lumière, comme une menace de clarté
plus rouge – une foudre de roses.
L’eau sur la peau tremble et grave des chemins. Mes
gestes dans l’air m’orientent vers une éloquence
d’épines.
Il s’agit de renouer un art du dialogue avec le sel,
l’eau, le vent.
La sensation de glisse, c’est le trajet de l’océan sur
le corps.
Je nage lorsque j’écris.
I
Pêcheur de corail c’est les voiles …
Pêcheur de corail
c’est les voiles qui reviennent brodées d’or
l’eau écrasant la poitrine
la respiration ― courte ―
l’aveuglement
les oreilles ― sourdes ―
la narcose
la phtisie
la côte des pirates sur les côtes
de Gênes à Boccadasse
les moustiques à pattes grises
les abysses sous les paupières
…
p.12
Extrait 3
La mémoire de l’eau n’est pas la sienne propre, elle
est constituée du récit des vieux, des enfants, des
gardiens de serments. Elle s’est déposée dans les yeux,
les chevelures, la somme de la neige. Elle parle la
langue indéchiffrable de ce qui fut. Le corps réitère
sa trame – qui lie le présent au passé.
Oraison pour une oraison
l’enfant dans le ventre de sa mère a
une bougie au-dessus de sa tête Il
sait tout
oubliant ce tout à sa naissance
il doit passer
le reste de sa vie à se souvenir
même Loin
loin même après le bleu dans l’Afrique tribale
la main des plaines et des troupeaux sauvages
trace bien une tombe - n’est-ce pas ?
pour la panthère sous le palissandre ?
n’y a-t-il que les moulins à cendre
trop fâchés par le feu
pour interdire la sépulture
un bâton qui grave une date à l’opinel ?
une coque de noix?
le souffle du vent ?
Isaïe a dit qu’il leur donnerait
dans sa maison et dans ses murs
un mémorial ‒ Yad ‒
et un nom ‒ Shem ‒
qui ne seront pas effacés
Les papillons s’envolent avec les lettres,
les lettres s’envolent avec leurs ailes, le
texte s’élève au-dessus du livre, ballon
de carnaval loin dans les airs, le texte
déjà s’efface…
Extrait 2
Je nage, creusée de lignes de sel, au droit des pavillons.
C’est le tribut de cet empire : des ondes amères ; de
lentes phrases qui rampent sur le corps.
Une vague s’enroule – serpent d’eau – autour des
hanches, ébauche la taille, tourne autour du sein.
Les bras de mer me ramènent çà et là, rythment la
marée interne, tapent dans le cœur. Le sel ouvre mes
veines. Les doigts coulissent en amont en aval. Le
mamelon durcit – le désir glisse sur la chair jusqu’au
creux du ventre où se fatigue la salive d’une langue
récoltée.