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Citation de jbicrel


Les derniers feux du jour viraient au pourpre derrière les monts, et les forêts se resserraient en une masse violâtre comme les entrailles d’une gigantesque laie d’où la nuit allait surgir. Les deux hommes se tenaient face à face, les traits accusés par l’ombre montante. En silence le père détacha sa ceinture, la retira, l’empoigna par la boucle puis rejeta son bras en arrière pour donner plus de force et d’élan à son geste. Il fixait son fils droit dans les yeux. Ephraïm ne cilla pas. « Renonce ! cria Ambroise qui retenait encore son geste ; c’est la Corvol qui sera ta femme ! Pas une autre, aucune autre, t’entends ? – Je renonce, répondit d’un ton calme Ephraïm ; je renonce à toi, à tes bois. Je vais épouser Reine Verselay. » Alors le père lança son bras. Il cingla son fils en plein visage avec son ceinturon. Le coup frappa Ephraïm de la tempe jusqu’au cou. Tout un pan de son visage était blessé. Était marqué. Il était l’arbre condamné, le fils rejeté. Celui destiné à s’abattre. Mais ce serait de son plein gré, emporté par le poids de son seul désir, qu’il allait s’abattre, et ce serait contre le corps de Reinette-la-Grasse qu’il tomberait. Il serra les mâchoires et les poings sous l’assaut de la douleur mais ne dit rien, ne bougea pas. Du sang coulait le long de sa joue. Il lui sembla sentir à nouveau la chaleur du four à pain de la Ferme-du-Bout. Il n’avait pas détourné son regard du visage de son père, mais ce visage mauvais, tout tendu de colère, s’éloignait déjà de lui, il se brouillait dans les ombres du soir, et à nouveau les sensations se confondaient en lui. Tout se tordait et se gonflait dans un même rougeoiement, – les derniers nuages au ciel, le sang coulant le long de sa joue, les lueurs du four à pain de la Ferme-du-Bout, la chevelure de Reine. Il ressentait en même temps la douleur présente et la jouissance promise, la faim et le désir, la colère et la joie. Ambroise Mauperthuis laissa retomber son bras. « Voilà qui est fait, père », dit d’une voix sourde Ephraïm.
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