La dernière semaine de mai de Christian TétreaultChristian Tétreault nous parle de son premier roman «La dernière semaine de mai», publié aux Éditions de l'Homme en septembre 2012. La plus belle semaine de l'année, c'est la dernière semaine du mois de mai. Sept jours pour tomber amoureux ou se faire aimer ; se venger ou s'excuser ; retrouver ou oublier. Pour en savoir plus sur le livre: www.editions-homme.com
Ceux qui vont le plus profondément dans la zone sont les meilleurs. On dit d’eux qu’ils ont du génie, mais ce n’est pas tant du génie que du courage et de la témérité. C’est comme cueillir des mûres. Les plus belles, les plus grosses, les plus juteuses sont celles qui sont difficiles d’accès. Celles qui coûtent cher en égratignures. Quand tu marches un mille dans les ronces pour cueillir ta mûre, elle est un fruit, mais elle est surtout un trésor.
Quand on est arrivées dans l’univers, la vie nous a donné chacune un sac de billes. Une bille est le talent, l’autre est l’intelligence, l’autre est la force. La bille suivante est la beauté, puis la patience, et la créativité. Les autres billes sont celles du courage, des craintes et des convictions.
Je m’appelle Emma Lauzon. C’est à toi que je parle.
Ne cherche pas un personnage fictif dans ta tête. Ou un lecteur imaginaire dans la mienne. Quand je dis «toi», c’est toi. Je ne sais pas qui tu es. Ni où tu es. Je ne sais pas si tu es dans ta chambre, à bord d’un autobus, assis à la bibliothèque, sur une pelouse ou un banc de parc. Tu es peut-être au bord de la mer, en vacances quelque part, à l’école. Tu es peut-être dans une maison de retraite, un chalet, un avion.
Tu as peut-être dix ans, tu en as peut-être quatre-vingts. Tu es peut-être un garçon, une fille. Tu es peut-être sensible, ou curieux, triste ou non.
La seule chose que je sais de toi, c’est qu’en ce moment tu as entre les mains un livre dans lequel je raconte mon histoire.
Papa est une machine à parler, tout est un sujet de conversation. Maman est une machine à bouger et à agir. Il y a toujours quelque chose à faire. Papa a toujours retenu ce syllogisme à la Yogi Berra: «J’en fais tellement que j’ai pas le temps de rien faire.»
Au fil des jours, des discussions et des caresses, leur relation se précise. Leurs rapports se dessinent. Leur dynamique s’établit. Leurs différences surtout se découvrent. Ils réalisent qu’ils sont arrivés ensemble sur leur petite île de bonheur en provenance d’univers totalement différents. Même quartier, même type de bungalow. Mais c’était bien différent entre les murs et dans le quotidien, entre les oreilles et dans le cœur, sur les sentiers.
Je me souviens d’avoir entendu un jour à la radio un animateur qui parlait de son métier. Il expliquait que la radio est très personnelle, c’est-à-dire qu’on n’écoute jamais la radio en groupe. On le fait seul. Ainsi, la relation entre la personne qui parle et celle qui écoute est une relation intime. Même si cent mille personnes écoutent la même émission en même temps, le lien qui est créé demeurera personnel. Un tête-à-tête entre deux individus.
Le livre pousse encore plus loin cette idée d’intimité. Il ne peut pas en être autrement. C’est juste à toi que je raconte cette histoire, toi seule, toi seul. Au fur et à mesure que je l’écris, je n’ai en tête que toi. Comme si je t’adressais une lettre.
De nos jours, on entend souvent parler d’intimidation, et quand on est rousse, on est une proie en apparence facile. Mais je n’ai jamais accepté d’être intimidée, et je ne l’ai presque jamais été. Enfin, pas souvent.
Je me suis battue une fois, juste une. J’étais toute petite et un garçon a voulu baisser mes pantalons pour faire rire les autres et pour voir si j’avais des picots sur les fesses. C’est lui qui a fait rire de lui quand il s’est retrouvé les culottes aux genoux. Tous les témoins l’ont compris alors: on laisse la rousse tranquille!
Ceux qui font de la peinture, de la musique, des romans, des poèmes, des films, des autos ou des cerfs-volants, ils prennent tous des notes, suivent le chemin et ne sont que fidèles au plan. L’esprit de ces gens va dans la zone et en rapporte des mots et des idées. Les créateurs en rapportent des couleurs, des agencements et des formes. Ils en rapportent des paragraphes ou des mélodies. C’est dans la zone que ça se cueille, tout ça. Ça ne sort pas du néant. Ça existe. Il s’agit d’aller le chercher.
Maman a au moins mille bandes dessinées. Pour moi, c’est Tintin. Les Sept Boules de cristal et Le Temple du soleil, je les ai lus un milliard de fois. Je les redécouvre chaque fois. Sarah a choisi quelques Boule et Bill. On passera la journée à retomber en enfance en lisant nos bandes dessinées. On va manger des sandwiches aux œufs et jaser. Parler. Planifier. Se jurer de s’aimer toute la vie.
Pour être un bon directeur de la publicité d’une chaîne de magasins en plaisirs électroniques, les qualités requises ne figurent pas dans sa palette. Il a un budget à administrer, un budget de trois millions de dollars. Papa ne peut pas gérer les huit dollars qu’il a dans les poches. Il ne regarde jamais un chèque. Il ne connaît rien à la finance.
Dans toutes les cultures et toutes les langues, qu’elle soit slave ou latine, saxonne ou grecque, il y a Marie. Dans la bible et les livres d’histoire, il y a Marie. Pécheresse ou reine, sainte ou putain. Aïeule ou tout petit bébé, Marie n’a pas d’âge. Comme si le nom de Marie n’avait jamais été créé. Comme s’il avait toujours existé.