Ils sont 120 000 en France à travailler dans des ESAT, des structures spécialisées pour personnes invalides ou handicapées. Ils soudent des pièces de voitures, cultivent des champs, fabriquent des palettes, lavent des blouses de médecins ou reconditionnent des box internet. Mais ces travailleurs ne sont pas des employés comme les autres. Appelés « usagers », ils sont exclus du Code du travail. Ils touchent une moitié de SMIC pour une semaine de 35 heures. Qui s'en soucie ?
Thibault Petit est journaliste, il a enquêté pendant six ans sur les Établissements et service d'aide par le travail (ESAT). Il s'est rendu auprès de personnes en situation de handicap, épuisées par la pression. Il a discuté avec des familles humiliées et révoltées. Il lève le voile sur cette réalité cachée du monde du travail.
#Handicap #ESAT #Enquête
Pour aller plus loin, l'enquête de Thibault Petit « Handicap à vendre » est disponible en librairie https://tinyurl.com/2p8r8yef
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Au fond de lui, il est fier, forcément. Il bosse bien, on le félicite, on lui tape dans le dos et on lui dit qu'il en faudrait davantage des comme lui, des dégourdis, des costauds, des pas trop handicapés, quoi.
Faut voir l'endroit : un hangar glauque, sans couleur et odeur de pluie, glacial. A l'intérieur, les travailleurs handicapés nettoient des plaques de plastique. Toute la journée,ils frottent,récurrent,polissent,astiquent. L'hiver,ils portent un bonnet,deux couches de pull,une veste de sécurité,des gants et vous regardent passer avec des yeux quasi clos,la mine tassée comme un accordéon qu'on replie en fin de bal.
Un travail de "chien" qui fait mal au dos la journée,à la tête le soir. "On n' jamais recu aucune formation aux gestes, aux postures" dénonce Robin comme si il venait d'enlever un gros bouchon au fond de sa gorge,ça y est. Il s'est bloqué le dos récemment ,deux mois d’arrêt de travail . "Pas mal pour un établissement de travail protégé" ironise Richard.
Dans ce genre d'établissement, il y a la fierté indéniable de faire travailler des handicapés, de le montrer comme un trophée manière de clamer : Voyez messieurs, mesdames, ils sont forts, ils bossent comme les valides.
Les ESAT sont souvent situés en dehors des villes. Il faut prendre un bus, un deuxième,sortir d'une route et s'enfoncer quelque part,entrer dans une zone industrielle et finir à pied. "Est ce qu'on cherche à se débarrasser des "débiles" " ? s'interrogent des familles.
Quand mème pas. "Mais c'est un choix de société. Un Apple Store ou un centre commercial au centre ville,c'est OK,mais l'atelier de rempaillage d'un ESAT, ce n'est pas acceptable pour l'image." m' a dit un jour un psychologue. C'était un petit blond à la voix basse,salarié à 40% dans un ESAT du Nord . Selon lui, on plaçait sciemment "les improductifs loin du centre des activités humaines" parce que "ça s'inscrivait dans une longue histoire institutionnelle".
Il faut voir aussi ces établissements comme des usines avec hangars,des ateliers,une cantine, des bureaux,elles ont besoin d'espace et s'implantent à l'écart des centres urbains en zones rurales ou périurbaines,ou le foncier est le moins cher aussi.
A ce moment de l’enquête,je me rends compte que certains siègent mème deux fois dans les commissions : en tant qu' "organismes gestionnaires" et comme "association de personne handicapées et de leurs familles". Dans la MDPH des Hauts de Seine,l'UNAPEI a trois représentants :deux au titre de la défense des intérêts des handicapés et au titre de gestionnaire .
C'est le paradoxe de ce milieu :les associations dites de "défense" ou de "représentants" dirigent aussi des établissements. L' UNAPEI est d'un coté la plus puissante organisation de représentation des intérêts des handicapés,et de l'autre,celle qui détient le plus grand nombre d'usines pour handicapés en France.
Ici, à priori les rémunérations n'ont pas diminué mais d'autres utilisent ce système en période de crise. Et pas n'importe qui : l'unapei,"principal mouvement associatif francais" selon ses termes, et plus importante organisation gestionnaire d'ESAT. En 2016,son antenne départementale de l'Orne a entrepris de résorber ses déficits par le plus simple des moyens: baisser la rémunération d'une centaine de travailleurs handicapés. De 10% du SMIC, elle a ramené sa part à 5% le minimum légal. "On baisse la rémunération, pas le revenu" s'est elle joliment justifiée dans Ouest France.
Sebastien et Robin n'ont rien d'exceptionnel : un cursus normal jusqu'à la cinquième,puis la maladie,les convulsions,les crises,le diagnostic qui tombe,l'épilepsie et l'école spécialisée en Bretagne,parce qu'il y n'en avait pas dans le Nord. Puis la reconnaissance du handicap et la prise de conscience que la société vous réserve une place au fond du wagon. Malgré les diplômes,les qualifications,l'envie de dépasser les préjugés,le rideau tombe.
pourquoi les handicapés peuvent-ils effec tuer jusqu'à douze mois de période d'essai alors qu'un cadre n'en fait que huit maximum, selon le Code du travail?
C'est un "gestionnaire" comme beaucoup de nouveaux directeurs d'ESAT. Avant,les patrons étaient issus du social, d'anciens éducateurs qui grimpaient les échelons un à un. Aujourd'hui, ils sont issus d'école de commerce ou de la grande distribution. Il faut des gens qui ont "un regard économique et social" avertit Pierre Yves Cade.
-Il faut des managers ,des stratèges.
le handicap c'est comme le chou de Bruxelles ,on n'aime pas trop mais on en prend de temps en temps pour se donner bonne conscience
On te demande de travailer comme un pro en restant à ta place de petit handicapé. Pas très épa-nouissant, hein?