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Citation de Luniver


Voilà en effet que Belleville, ce Belleville de légende, devient à la mode. On s'arrache les albums de photographies anciennes, les cartes postales, toutes empreintes de nostalgie, qui nous montrent un Paris de rêve, avec ses courettes fleuries, ses artisans bourrus, ses marchandes de quatre-saisons à la poitrine généreuse, ses gosses de la rue, gavroches maigrichons et insolents, ses cafetiers et ses cochers. Elle ont le charme des images d'un passé dont on se plaît à évoquer les douceurs. Qui peuvent-elles séduire ? Les nouveaux occupants de lieux, pardi ! Claquemurés dans nos clapiers de luxe, protégés de la racaille par nos digicodes, nos systèmes d'alarme, nous rêvons au temps où la rue était « conviviale », où Belleville n'était pas encore devenu un sinistre clone de la banlieue. Il m'arrive parfois de feuilleter les albums de Willy Ronis. Je me laisserais presque attendrir.

Au-delà des apparences idylliques, quelle détresse ! Pensez donc ! Qu'elle était belle, la rue des Envierges, aux pavés disjoints et luisants sous la pluie, quand les gamins tuberculeux y crachaient leur sang ! Comme ils étaient séduisants, les escaliers moussus de la rue de la Mare, du temps où les « yids » s'entassaient dans les soupentes, où les Arméniens dansaient devant le buffet ! Qu'il faisait bon vivre, dans ce Paris désormais disparu, à l'époque où les moricauds rescapés du massacre de 14-18 – chair à canon déportée des colonies, hébétée, hachée par la mitraille – tendaient leur sébile dans les flonflons des bals patriotiques ! Comme ce devait être doux de prendre le funiculaire du faubourg du Temple pour regagner le taudis rongé par les poux, la gale et les punaises, après une journée de travail de plus de douze heures ! Qu'elles devaient être charmantes, et pittoresques, « gouailleuses », n'est-ce pas, les putains de la place des Fêtes, elles qui, épuisées après des journées entières à s'user la santé au tapin, s'installaient à califourchon sur des bidets de fortune pour avorter, et qui parfois finissaient par mourir d'hémorragie, la main encore crispée sur l'aiguille à tricoter qu'elles s'étaient enfoncée entre les cuisses...

Malgré toute cette misère, Belleville était une véritable terre d'accueil et de fraternité, dont les habitants savaient se reconnaître les uns les autres. Un fleuve de béton a noyé ce paradis modeste et discret. Mieux vaut ne plus en parler.
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