Citations de Thierry Jonquet (356)
La violence qui régnait au collège, dans la cour de récré comme dans les couloirs, les incidents à répétition en classe, les bagarres incessantes, le niveau effarant des élèves après tant d'années de scolarité, les trois cent mots de vocabulaire dont ils disposaient, en comptant large, le néant culturel, l'agressivité à fleur de peau, la détresse sous-jacente, l'océan de misère dans lequel ils surnageaient, oui, c'était dur, très dur. Ce n'était pas réellement un travail de prof.
On est tous aussi moches, quand on vieillit. C’est pas ceux qui ont des sous qui se retrouvent les plus beaux. D’accord, moi, je ne suis vraiment plus très présentable, mais il faut voir la vie que j’ai menée. J’étais pas confit dans le luxe, moi, j’y ai jamais été admis, au rayon épicerie fine des Galeries Lafayette.
Après, le soir, à la maison, huit jours avant que tu n’arrives, je l’ai traitée de traînée, de roulure, de paillasse à soldat, de fille à cent sous... Elle m’a écouté en silence, sans desserrer ses jolies lèvres. Elle a haussé les épaules, comme toujours, l’air de dire: tout ce que tu racontes, c’est moins qu’un pet de lapin...
Toute la jeunesse scolarisée descendit dans la rue. Debré fut la cible favorite des manifestants. Les caricaturistes de Charlie-Hebdo l'immortalisèrent en le représentant comme un fou sanglé dans une camisole de force et coiffé d'un entonnoir, aussi les fabricants de cet ustensile connurent-ils une soudaine embellie de leurs chiffres d'affaires, puisque les lycéens s'en affublaient en guise de couvre-chef.
Ainsi se termine l'histoire.
Personne ne se maria, personne n'eut beaucoup d'enfants.
Le crapaud resta crapaud, aucune jeune fille ne s'étant proposée pour lui donner un baiser, en dépit des nombreuses annonces parues dans les revues spécialises.
Le Petit Poucet, perdu dans la jungle des villes, devint contremaître chez Citroën.
Les sept nains terminèrent leur vie dans un centre de gériatrie.
Le petit canard ne devint jamais cygne : il retourna au pays avec le million pour les immigrés.
Le Chat Botté fut capturé par les rabatteurs d'un laboratoire pharmaceutique où l'on pratique la vivisection...
Tout fout le camp.
De petits maux en petits maux, la vie s'amenuise, jusqu'a ce qu'il faille en effacer les traces, sans tarder, en urgence.
Il se remit à boire, tétant la boîte de bière, se gargarisant de mousse, recracha. Il s’assit sur le banc de la véranda, soufflant, rotant de nouveau. De la poche de son short, il tira un paquet de Gauloises. La bière avait éclaboussé son tee-shirt, déjà crasseux de graisse et de poussière.
La monstruosité est la chose au monde la plus répandue, avec la bêtise. On peut écrire à l'infini sur l'une comme sur l'autre. J'essaie de m'y atteler. Je reste souvent confondu de stupeur à la lecture de certains faits divers sui révèlent l'existence de monstres ordinaires, d'ogres débonnaires, de cinglés parfaitement intégrés socialement mais dont la conduite, en privé, s'abîme dans des gouffres d'ignominie.
"Voilà comment ça s'est passé..."
Le jour ou, pour la première fois, l'on se met à parler de sa jeunesse en utilisant l'imparfait, on ressent un curieux malaise.
Au-delà des apparence idylliques, quelle détresse! Pensez donc! Quelle était belle, la rue des Envierges, aux pavés disjoints et luisants sous la pluie, quand les gamins tuberculeux y crachaient leur sang! Comme ils étaient séduisants, les escaliers moussus de la rue de la Mare, du temps où les "yids" s'entassaient dans les soupentes, où les Arméniens dansaient devant le buffet! Qu'il faisait bon vivre, dans ce Paris désormais disparu, à l'époque où les moricauds rescapés des massacres de 14-18 -chair à canon déportée des colonies, hébétée, hachée par la mitraille- tendaient leur sébile dans les flonflons des bal patriotiques! Comme ce devait être doux de prendre le funiculaire du faubourg du Temple pour regagner le taudis rongé par les poux, la gale et les punaises, après un journée de travail de plus de douze heures! Qu'elles devaient être charmantes et pittoresques, "gouailleuses, n'est-ce pas, les putains de la place des Fêtes, elles, qui, épuisées après des journées entières à s'user la santé au tapin, s'installaient à califourchon sur des bidets de fortune pour avorter , et qui parfois finissaient par mourir d'hémorragies, la main encore crispée sur l'aiguille à tricoter qu'elles s'étaient enfoncée entre les cuisses..
Toute cette méfiance, ça me vient de mes origines paysannes. Les citadins, ce sont de gros nigauds, dressés par la télé. Ils y perdraient les pédales, dans tout ce micmac. Pas moi, Vieux Léon, je suis un type de la campagne.
Il faut bien s’amuser un peu ? La vie, après tout, ce n’est pas la tristesse, c’est la joie.
- Et ces gens-là vivent ici, dans ce… ce charnier ! Heureux ! Tranquilles ! reprit-il d'une voix saccadée. Ah, ils l'ont retournée, cette foutue terre ! Et ils n'ont pas trouvé que des os ! Sur le chemin des chambres à gaz, les gens enterraient à la hâte les quelques biens qui leur restaient… ceux qui avaient pu échapper à la fouille ! Alors une bague…
- C'est de la folie ! balbutia Rovere, interloqué.
- La recherche, je veux dire la recherche méthodique a commencé tout de suite après la guerre, ajouta Sosnowski. Ils se réunissaient sur la grande place d'Oswiecim, avec des pelles, des pioches et ils venaient jusqu'ici, en chantant pour se donner du courage, les salauds ! Dieu sait sur combien de kilos d'or ils ont pu mettre la main ! Vous savez, les dents… et puis les bijoux, les diamants, enfouis dans la glaise. Ils chargeaient la terre dans des sacs et la tamisaient dans les éviers de leurs cuisines.
- Exactement comme des orpailleurs ! murmura Rovere consterné.
- Dégueulasse, hein ? Ces salauds ont trouvé un Eldorado leur mesure. Et ça a continué jusqu'à aujourd'hui ! Oh plus avec des pelles, avec des détecteurs de métal ! Tout le monde le sait. C'est un secret tellement honteux… personne n'en parle !
On l'a élevé dans un nid bien trop confortable. Tiens, l'autre jour, sur je ne sais plus quelle chaîne, j'ai regardé une de ces émissions à la con, de la téléréalité... Une bande de petits merdeux, exactement comme le nôtre, figure-toi qu'ils signent une sorte de contrat moral avec une association qui les expédie au fin fond des Vosges. En pleine forêt. Ils dorment sous la tente, à la dure, ils coupent du bois, ils observent des animaux à la jumelle, mais le principal, c'est que pendant trois semaines, ils sont totalement coupés de leur milieu habituel. Plus le droit de fumer un joint, ni d'écouter leur musique de tarés, le shit et les baladeurs sont confisqués dès le premier jour. Fouille à corps, ambiance militaro. Et ça marche. Si on confiait Adrien à ces gens-là, je te parie tout ce que tu veux que ses histoires de vampires, ce serait réglé. La pédagogie du coup de pied dans le cul, parfois, c'est efficace !
(p. 122-123)
Le malheur des autres, ça console !
Il fallait juste l’eau pour se nettoyer, et la cuvette des W.-C. était suffisante. Comme quoi on dit le luxe et tout, eh bien, lorsqu’on est coincé, on revient à une conception plus saine de la valeur des choses.
[2003]
Une qu'il aimait bien, c'était Arlette [Laguiller]. Elle au moins ne mâchait pas ses mots. Sincère, toute simple, elle allait droit au but. Les capitalistes, c'étaient eux les responsables de toute la merde. Elle le disait franchement. Elle le criait. Et elle avait bien raison. Elle avait bossé toute sa vie comme employée de banque, sans s'enrichir comme les autres politicards, on ne pouvait rien lui reprocher, mais alors là, vraiment rien. Elle ne s'était pas sali les mains dans des combines douteuses, il suffisait de la voir deux minutes à la télé pour s'en convaincre. [...] D'un autre côté, Arlette cachait un peu la vérité à propos des Mamadou et des Mustapha, parce que quand même, on ne pouvait pas ignorer cette donnée du problème si on voulait redresser la France, c'était un peu hypocrite de faire comme si de rien n'était. Le Pen, lui, a contrario, il y allait carrément. Il cognait de toutes ses forces contre les Mamadou et les Mustapha et il n'avait pas tort non plus, à bien y regarder. Daniel était forcé d'en convenir. Quand il y réfléchissait, avec toute son expérience du Parti [communiste], même s'il n'avait jamais pris la carte des Jeunesses, il ne pouvait s'empêcher de penser que la vraie solution pour sortir de la mouise, c'était une alliance entre Arlette et Le Pen. Un truc plutôt raisonnable malgré les apparences.
(p. 36)
Le pinglapük n'est d'aucune utilité dans les activités de la vie courante. Pingleau se garde bien de l'employer chez l'épicier, avec le releveur du Gaz ou en compagnie des siens. Le pinglapük est usité uniquement en réunion. Son intérêt principal est de masquer la vacuité du propos par l'imprécision de la syntaxe et l'opacité du vocabulaire.
Soit une phrase : « Il n'y a plus assez d'argent pour faire réparer la photocopieuse... »
Traduisons-la en pinglapük, nous obtiendrons : « Les dépassements budgétaires concernant le matériel de reprographie font en sorte que les procédures de maintenance des appareils susnommés semblent devoir être différées... »
Djamel n'osait presque plus sortir de chez lui. Il sécha le collège les derniers jours avant les vacances de la Toussaint. Son visage couvert d'ecchymoses faisait peine à voir. Ses parents ne s'en formalisèrent pas. Bien avant lui, son grand frère Bechir était souvent rentré au bercail dans un tel état. Des bagarres de gosses, rien de plus. Et d'ailleurs, c'était ainsi que Bechir s'était endurci et avait trouvé une place de videur au Sexorama de la place Pigalle, un vrai travail où il ne se salissait pas les mains et ne courbait pas l'échine sous les ordres d'un cheffaillon raciste, comme le daron, sur ses chantiers... Ceinture noire de karaté, il était, Bechir, et ça, c'était mieux que tous les diplômes pour obtenir le respect.
(p. 225)
A l'hosto, même les placards à balais sont fermés à clé, pensez-donc, si un salaud d'associal se mettait dans l'idée de piquer une serpillière !