...Ils sont sur le point de repartir, le moteur tourne déjà, Bob demande à Marge de lui passer le briquet pour allumer la énième cigarette et Flora se dit qu’ils sont agaçants à la fin, parce qu’à chaque fois ils se renvoient la balle, c’est toi qui l’as, non je te l’ai rendu, regarde dans ta poche... ne peuvent-ils en avoir un chacun, de briquet ? Elle n’a qu’une envie, voir l’excursion s’achever. Elle se sent lasse et ferme les yeux un instant, voilà pourquoi elle ne se rend pas compte immédiatement de ce qui se passe : sortie de nulle part, une Jeep de l’armée, avec peinture de camouflage et tout, vient de se mettre en travers de leur route.
Trois hommes à bord ; deux d’entre eux sautent du véhicule qui reste moteur allumé et viennent braquer des fusils mitrailleurs sur les occupants du 4x4. C’est de cela que Flora prend conscience tout à coup, des canons pointés, et, derrière les armes, ce ne sont pas des soldats, mais des individus qui ont l’air de paysans, avec des barbes pendantes, des visages ravagés par les intempéries, sillonnés de rides bien qu’ils ne semblent pas vieux ; ils ne portent pas d’uniforme mais des tuniques sales, pas de bottes aux pieds mais des tongs.
On se sent tous coupables de quelque chose à un moment ou à un autre, avait murmuré Orazio. Vous voulez que je vous dise ? On n'est pas coupable de tout ce qui arrive. Le croire, c'est de l'orgueil. Il faut admettre qu'on ne peut pas tout contrôler, qu'on n'a pas prise sur ce qui, de toute façon, advient ! (p.272)
Une haleine blanche et opaque s'exhalait des champs en larges rubans, s'enroulait avec des douceurs de mousseline autour des cyprès, effaçait les haies et courait, de drapés en déchirures, jusqu'aux "Monts Euganéens" : ces derniers étaient en réalité des collines volcaniques, jetées comme une poignée de cailloux arrondis sur la plate uniformité qui s'étendait alentour à perte de vue ; leurs cônes flottaient aujourd'hui sur une mer de coton.