Jean-Marie Colombani invite Werner Spies
Picasso nourrissait une sorte de commerce familier voire animiste avec ses créatures de pierre, de plâtre, de bois ou de métal.
Ce nu n'a pas de visage, il nous tourne le dos et ne suppose pas de public. L'œil plongeant, le geste enveloppant du peintre lui confère la retenue de Rembrandt et la vibration de Véronèse, deux maitres que cet impressionniste a longuement étudié, copiés, incorporés. Son pastel invite à l'intimité resserrée sur elle même, inaccessible parce que réelle.
On voit bien que le corps de cette femme fait provision de temps. et n'est ce pas précisément cela un corps: une provision de temps? Passé, présent, avenir coïncident dans la respiration allongée d'une femme qui se détend. Tient toi au maintenant, à l'ici à travers toi que tout futur plonge dans le passé, semble-t-elle dire.
Avec le temps, le monde a perdu de sa magie. Il est utilitaire, il n'est plus ce mystère qui grandit les âmes mais une réserve hétéroclite d'où nous tirons des ressources pour vivre au dessus de nos moyens. C'est une mauvaise évolution, ce que nous enlevons à la nature et au sacré réduit d'autant notre humanité.
Les paysages se croisent et se superposent. ils sont reliés par une étrange similitude. Dans mon esprit ils finissent par se rejoindre et se déplacer ensemble. La terre, les champs, le blé, la mer et les montagnes se fondent les uns dans les autres. les arbres et les meules de foin se transforment en voiliers, les villages au loin deviennent des iles vierges inexplorées. En marchant a travers la campagne, nous avons parfois l'impression de voyager sur l'océan, de nous baigner au centre de la terre, de nager autour du monde.
De ce rythme surgit la grâce d'un volume que nourrit la tendresse des couleurs: le jaune nacré de la nuque et de l'épaule droite, l'ocre du dos qui s'assombrit au sein, aux fesses, aux muscles tendus, à l'orange cuivré de la chevelure, de l'éponge - innocentes répliques du sexe, de la cafetière... Leur vibration est le vrai visage de la femme qui se protège.
François Millet recherche l'ombre et le repos des soleils couchants. Il possède en lui les secrets de la nature, essaie toujours de mieux comprendre le mystère qui l'enrobe. Habité par chaque bruit, chaque forme, chaque envol d'oiseau, il est là, chez lui, assis dans sa maison, au cœur de ses visions d'éternité.
la peinture ne se rend pas mémé cernée par les chiens, au beau milieu de la neige que Courbet peint comme personne, le blanc immaculé de la neige que le noir de suie appelle de toute ses forces. même cernée par les chiens, déjà mordue, bousculée par les mots, la peinture ne se rend pas.
Un kaléidoscope de nuances sculpte son dos, comme une œuvre d'art abstrait, et traduit l'intérieur invisible que cette éventuelle danseuse "voit" sans voir: qu'elle pressant qui l'annule et qui nous aimante.