Dans l'écriture de Xavier Gardette, tous les signes ont leur importance. le singulier du titre, Jour Tranquille à Vézelay est trompeur, car ce jour unique plonge ses racines loin dans la généalogie des lieux, des paysages et des personnages.
Un jour qui est un aboutissement mais pas une fin en soi.
Une écriture de géomètre et d'arpenteur, tirée au cordeau. Avec ses piquets, ses fondations aux bords francs, ses cordelettes teintées de craie bleue, ses points géodésiques délimitant parfaitement les scènes et l'interaction des personnages et permettant de mesurer l'espace indéfini qui les entoure.
Vézelay est ce lieu de pèlerinage que l'Eglise de France a voulu partager avec des non croyants dans les années 1970. La mixité sociale, économique, culturelle et cultuelle était de rigueur à l'époque. L'église voulait s'ouvrir à la société mais la société, elle, à qui et à quoi voulait-elle s'ouvrir ?
Cette double révolution copernicienne, concept cher à Jean Duvignaud, a contribué à les éloigner l'une de l'autre…
Les personnages du récit, plusieurs couples en devenir, sont-ils des héritiers de cette époque ? J'aime à le penser.
Très « Upper Middle Class » - (je m'autorise cet anglicisme parce que Xavier Gardette parle de la skyline de Vézelay), celle dont on fait les héros de films et de romans, celle dont on dit qu'elle est sacrifiée, celle qui à la façon De Balzac est peut-être une pure invention – ils sont prisonniers de leur quant-à-soi, de leur positionnement social, de leur histoire familiale et de leur volonté d'en sortir en l'apprivoisant.
Sont-ils dans l'être ou le paraître, la recherche de sens, ou tout simplement dans la recherche d'un camouflage social qui les ferait disparaitre aux yeux des autres, observateurs jamais observés ?
« (…) un sac sur le dos vous pose aux yeux du peuple comme un randonneur, personnage inoffensif et sympathique ; oubliez votre sac et vous passer pour un rodeur suspect. (…) il porte même, à chaque sortie, des chemises à carreaux, de celles qu'on trouve dans les coopératives agricoles de village. »
Dans Vézelay tranquille, ils vont trouver de quoi alimenter leurs quêtes, rassurer leurs certitudes ou donner corps à leurs doutes...
La ville ancestrale, sa basilique et les reliques de Marie-Madeleine, offre l'assurance et la solidité qui leur manque.
Paul et Lisa
« Qu'une personnalité atypique comme celle de Paul ait pu trouver Lisa et que ces deux-là s'aiment d'amour paraîtra naturel à quiconque se sera donné la peine d'observer les appartements les plus incongrus dont la société donne le spectacle. »
Laurence et Philippe
Philippe, perdu dans ses souvenirs (…) au moment où Laurence (…) s'aperçoit que ces quelques mètres symbolisent précisément ce qu'elle refoulait depuis le printemps (…) son désir de distance (…) et la nécessité de mettre fin à cette relation qui maintenant l'oppresse. »
David et Nathalie
« Où va-ton demande Lili ? On monte, répond David. Tout ce qui monte converge disait Teilhard de Chardin, il ne connaissait pas les lois de la physique. (…) Alors convergeons ! dit Lili. »
Anna a retrouvé Olivier par internet après vingt ans de silence.
Ballet parfaitement réglé, les partenaires de ces différents couples, s'observent, se cherchent ou se rejettent sous l'oeil indifférent de la ville, ou les regards placide d'autres touristes venus chercher eux aussi l'onction de la cité.
Faut-il s'attarder sur la vigoureuse glycine qui déforme une grille monumentale pour éviter de poser la « question dont jamais on n'entend l'écho, qui fait partie des grands silences sociaux. » semble penser chacun à l'instar de David.
L'écriture précise et recherchée de Xavier Gardette construit une série de scènes au découpage cinématographique, alternant les dialogues, les observations, les interrogations des personnages traversant espoir ou désespoir… ; et dans lesquelles il est agréable de déambuler.
Vézelay monumentale, omniprésente, joue le rôle de juge de paix renvoyant chacun à la vacuité et à la superficialité de son existence comparée à l'histoire de la ville.
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