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Citation de SZRAMOWO


Le carnet de danse

Je voudrais pouvoir lui fermer nos portes. Si je la souffre quelquefois sous les lustres, sans trop de tristesse, c’est grâce à ses tablettes d’amour, à son carnet de danse.

Ninon, le vois-tu dans sa main, ce petit livre ? Regarde : le fermoir et le porte-crayon sont en or ; jamais on ne vit papier plus doux et plus parfumé ; jamais reliure n’eut plus d’élégance. Voilà notre offrande à la déesse. D’autres lui ont donné la couronne et l’écharpe ; nous, par bonté d’âme, lui avons fait cadeau du carnet de danse.

Elle avait tant d’adorateurs, la pauvre enfant, on la pressait de tant d’invitations, qu’elle ne savait plus où donner de la tête. Chacun venait l’admirer en implorant un quadrille, et la coquette accordait toujours ; elle dansait, dansait, perdait la mémoire, était accablée de réclamations, et se trompait encore ; de là une confusion terrible et d’immenses jalousies. Elle se retirait, les pieds brisés et la mémoire perdue. On eut pitié d’elle, on lui donna le petit livre doré. Depuis ce temps, plus d’oubli, plus de confusion, plus de passe-droit. Lorsque les amants l’assiègent, elle leur présente le carnet ; chacun y inscrit son nom, et c’est aux plus amoureux à arriver les premiers. Fussent-ils cent, les pages blanches sont en grand nombre. Si, lorsque les lustres pâlissent, tous n’ont pas pressé sa fine taille, qu’ils s’en prennent à leur paresse et non à l’indifférence de l’enfant.

Sans doute, Ninon, le moyen était simple, et tu dois t’étonner de mes exclamations à propos de quelques feuilles de papier. Mais quelles charmantes feuilles, exhalant un parfum de coquetterie et pleines de doux secrets ! Quelle longue liste de beaux amoureux, dont chaque nom est un hommage, chaque page une soirée entière de triomphe et d’adoration ! Quel livre magique, contenant une vie de tendresse, où le profane ne peut épeler que de vains noms, où la jeune fille lit couramment sa beauté et l’admiration qu’elle excite !

Chacun vient à son tour faire acte de soumission, chacun vient signer sa lettre d’amour. Ne sont-ce pas là, en effet, les mille signatures d’une déclaration sous-entendue, et ne devrait-on pas, si l’on était de bonne foi, les écrire sur le premier feuillet, ces éternelles phrases, toujours jeunes ? Mais le petit livre est discret, il ne veut pas forcer sa maîtresse à rougir. Elle et lui savent seuls ce qu’il faut rêver.

Franchement, je le soupçonne d’être fort rusé. Vois comme il se dissimule, comme il se fait naïf et nécessaire. Qu’est-il ? sinon un aide pour la mémoire, un moyen tout primitif de rendre la justice en accordant à chacun son tour. Lui, parler d’amour, troubler les jeunes filles ! on se trompe grandement. Tourne les pages, tu ne trouveras pas le plus petit : « Je t’aime. » Il le dit en vérité, rien n’est plus innocent, plus naïf, plus primitif que lui. Aussi les grands-parents le voient-ils sans effroi dans les mains de leurs filles. Tandis que le billet signé d’un seul nom se cache sous le corsage, lui, la lettre aux mille signatures, se montre hardiment. On le rencontre partout au grand jour, dans les salons et dans la chambre de l’enfant. N’est-il pas le petit livre le moins dangereux qu’on connaisse ?
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